Chantre de la « grande cuisine minceur », il est sans doute celui qui incarna avec le plus de créativité, d’érudition et de malice, la génération « nouvelle cuisine », mouvement phare du renouvellement gastronomique français du début des années 1970, dont il était la dernière légende vivante depuis la disparition de ses amis Paul Bocuse, Pierre et Jean Troisgros, Roger Vergé, Alain Chapel ou Alain Senderens.
Chef trois étoiles depuis 1977 de l’hôtel-restaurant Les Prés d’Eugénie, à Eugénie-les-Bains (Landes), capable de faire rimer thermalisme et hédonisme, auteur de best-sellers – La Grande cuisine minceur (Robert Laffont, 1976), La Cuisine gourmande (Robert Laffont, 1978)… – qui amplifièrent sa renommée internationale, Michel Guérard est mort dans la nuit de dimanche 18 à lundi 19 août, à l’âge de 91 ans, a annoncé son entourage, confirmant une information de France Bleu.
Paraphrasant une citation du peintre Claude Monet, Michel Guérard aimait répéter qu’il aspirait à « faire la cuisine comme l’oiseau chante ». Œil pétillant, sourire en coin, ce gourmand virevoltant affirmait ainsi la philosophie libre et réjouie d’un acte culinaire dont la justesse devait résonner avec limpidité. Une fluidité rendue possible par la maîtrise technique de cet ancien pâtissier et sa connaissance encyclopédique de l’histoire de la cuisine.
Le créateur, toujours en mouvement, de la salade gourmande, du homard rôti légèrement fumé à la cheminée, de l’oreiller moelleux de mousserons et de morilles, de l’huître à la chiboust de café vert ou du gâteau mollet du Marquis de Béchamel, avait formé de nombreux disciples – Michel Troisgros, Daniel Boulud, Gérald Passédat, Arnaud Lallement, Arnaud Donckele, Laurent Petit, Christopher Coutanceau, Sébastien Bras, Jacques Chibois ou encore Alexandre Couillon –, dans les cuisines d’Eugénie.
L’un d’eux, le multi-étoilé Alain Ducasse, se souvenait dans son Dictionnaire amoureux de la cuisine (Plon, 2003) de ses deux années d’apprentissage (1975 et 1976) auprès de Guérard : « J’ai découvert et appris plusieurs choses fondamentales : le travail d’équipe dans un esprit de complicité, mais surtout l’imagination au pouvoir et le professionnalisme poussé à un point absolu de perfection. »
« La faim et la peur »
Michel Guérard rappelait qu’il s’était initié « tout naturellement » aux plaisirs gourmands. Né le 27 mars 1933, dans la petite ville de Vétheuil (Val-d’Oise), dont l’église fut immortalisée par Monet, il grandit pendant la seconde guerre mondiale en Normandie, à Pavilly (Seine-Maritime), où ses parents sont éleveurs-artisans bouchers. Alors que leur père est prisonnier, lui et son frère aident aux tâches ménagères, fendent le bois, cueillent les fruits, vont laver les tripes à la rivière. Dans un passionnant livre d’entretiens, Michel Guérard, Mémoire de la cuisine française (Albin Michel, 2020), mené par Benoît Peeters, le chef se souvenait avoir connu, à cette époque, « la faim et la peur ». Une expérience qui l’avait « bien armé », disait-il, « car tout ce que j’ai vécu ensuite m’a fait aimer la vie, quoi qu’il arrive ».
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