lundi, mai 20

Dossier « Europe »

A un mois des élections européennes, plusieurs livres élargissent la réflexion.

  • « L’avenir se joue à Kyiv », de Karl Schlögel : l’Europe retrouvée
  • Entretien avec Heinz Wismann : « L’Europe est un geste, pas un gène »
  • « L’Europe selon Aron » : Raymond Aron, patriote français et « grognard » européen
  • D’autres parutions européennes

« L’avenir se joue à Kyiv. Leçons ukrainiennes » (Entscheidung in Kiew. Ukrainische Lektionen), de Karl Schlögel, traduit de l’allemand et préfacé par Thomas Serrier, Gallimard, « La suite des temps », 430 p., 25 €, numérique 18 €.

L’Europe est comme l’Alice de Lewis Carroll : elle change tout le temps de forme. A douze, à quinze, à vingt-sept, à vingt-huit, de nouveau à vingt-sept, un jour peut-être à trente, elle a à peine le temps de se poser la question de son identité qu’elle doit la reformuler. C’est une expérience cognitive autant que politique. Une exploration sans fin d’elle-même, des peuples qui la composent, la rejoignent ou la désirent, de leur histoire, leur culture, leur langue, de ce qu’on croyait savoir sur eux et de ce qui se ­révèle tout autre.

L’avenir se joue à Kyiv, de Karl Schlögel, prend sa source dans ce flux de savoirs et de sentiments. Il en représente même la plus puissante traduction qu’il ait récemment été donné de lire. Car, plutôt que de le théoriser, bien qu’il ne se l’interdise pas, le grand historien allemand de la Russie et du monde postsoviétique, né en 1948, dissèque avec une précision implacable les effets concrets qu’a eus sur son travail et sa vie l’une des plus récentes de ces métamorphoses : l’irruption de l’Ukraine comme acteur central de la vie européenne, et bientôt – elle en a le statut officiel depuis juin 2022 – comme candidate à l’entrée dans l’Union.

« Il nous a fallu apprendre en un temps record, écrit Schlögel dans son avant-propos à l’édition française, qu’il existait une autre Europe, une Europe plus grande, qui n’avait pas eu l’heur jusqu’à présent ­d’apparaître sur nos cartes mentales : l’Ukraine, terra incognita… » Devenu massif sur le continent après le déclenchement de l’agression russe à grande échelle en 2022, ce processus d’éveil, pour lui, a commencé dès 2014, avec la révolution de Maïdan, l’annexion de la Crimée et l’envoi de forces russes dans le Donbass.

Portrait de villes

Une première version de L’avenir se joue à Kyiv, fruit de cette série de chocs, est d’ailleurs parue en 2015. La deuxième, celle qui paraît aujourd’hui en France, date de 2022. Enrichie de textes écrits après le 24 février, elle ajoute une strate à ce livre touffu, composite, où se juxtaposent ego-histoire, histoire immédiate, nationale, locale, économique, intellectuelle, et d’abord cet exercice canonique dans le travail de Schlögel qu’est le portrait de villes, ces « points de conden­sation maximale des événements et des espaces d’expérience historique ».

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