lundi, mai 20
Chris (Babak Tafti) et Ann (Joanna Arnow) dans « La Vie selon Ann », de Joanna Arnow.

L’AVIS DU « MONDE » – À VOIR

La sortie en salle de La Vie selon Ann, presque un an après sa présentation à la Quinzaine des cinéastes en mai 2023, invite à se poser la question : où en est le cinéma indépendant américain ? Plusieurs de ses dernières aventures en date, nées à la charnière des années 2000-2010, ont depuis trouvé des débouchés. La veine bricolée du do-it-yourself (le « faire-soi-même ») new-yorkais a accouché de la sensation des frères Safdie – aux dernières nouvelles séparés.

De la branche encore plus fauchée du mumblecore (le cinéma « marmonné ») a jailli Greta Gerwig, qui a fait main basse sur l’industrie avec le succès planétaire de Barbie. Et pendant ce temps, la firme A24 redéfinit un auteurisme musclé en siphonnant les nouvelles signatures pour des projets à forte valeur conceptuelle ajoutée (Everything Everywhere All at Once, Beau Is Afraid, récemment encore Civil War).

Rôle de soumission

Dans ce marché bien quadrillé, reste-t-il de la place pour ces petits films tordus et inclassables, non immédiatement marketés, dont le champ de l’indépendance fut longtemps prodigue ? La Vie selon Ann le prouve en se livrant à une forme d’autoportrait dépréciatif, dans la lignée de la comédie juive new-yorkaise. Celle qui se prête à l’exercice se nomme Joanna Arnow, jeune cinéaste issue du vivier de Brooklyn, qui, non contente d’assumer l’écriture, la réalisation et le montage de son film, se met elle-même en scène dans la peau de son héroïne et la peinture d’une sexualité non conventionnelle.

On connaît la propension des comiques à interpréter leurs films eux-mêmes, de Buster Keaton à Albert Brooks, en passant par Guitry et Tati. Mais dans le cas de Joanna Arnow, la chose va plus loin, du côté d’un exhibitionnisme vachard, une façon de « mettre sa peau sur la table » à chaque plan, qui, ne s’épargnant pas, gratte au vif du sujet. Le rire qui en découle l’emporte par un rapport frontal à l’inconfort.

Ann, trentenaire new-yorkaise, promène son apathie entre un travail en entreprise peu reluisant, où l’on peine même à définir son poste, ses cours de yoga et les retours dans son appartement, où il lui arrive d’héberger sa sœur. A l’occasion, elle se rend à la campagne chez ses parents, deux hurluberlus dépositaires de la vieille culture ouvrière (ils entonnent Solidarity Forever, hymne syndical populaire), qui désespèrent de la voir un jour se caser.

Or, la vie sentimentale d’Ann ne la porte par vers la reconduction des schémas familiaux. Elle pratique une sexualité BDSM, où elle se plaît dans un rôle de soumission, qui devrait servir de soupape à la morne avanie du quotidien, mais en bien des aspects la prolonge. Elle vogue ainsi entre plusieurs « maîtres », plus ou moins compétents, revenant toujours auprès d’Allen (Scott Cohen), un homme d’âge mûr qui la traite, en dehors de leurs jeux sexuels, avec un ennui poli : cas d’école, jusqu’à quel point le mépris affiché par le maître contribue-t-il au plaisir du soumis ? Avant de rencontrer Chris (Babak Tafti), garçon de son âge avec qui s’installe une idylle plus conforme.

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