dimanche, mai 19

La présence de l’ambassadeur de France, Pierre Lévy, parmi les rares diplomates occidentaux ayant accepté d’assister à la cérémonie d’investiture du président Vladimir Poutine, à Moscou, mardi 7 mai, avait de quoi surprendre, pour plusieurs raisons.

La première est que l’élection grâce à laquelle M. Poutine a obtenu un cinquième mandat présidentiel par 88,5 % des voix, du 15 au 17 mars, s’est déroulée dans des conditions si peu démocratiques que la France, comme la plupart des pays occidentaux, s’est contentée d’en prendre acte, soulignant que les électeurs russes avaient été privés d’un véritable choix et condamnant fermement le contexte de répression dans lequel elle s’est tenue. Pour mémoire, l’opposant Alexeï Navalny était mort un mois plus tôt en prison, mi-février, dans des conditions qui n’ont jamais été éclaircies – M. Lévy avait d’ailleurs assisté, avec ses collègues occidentaux, aux funérailles de l’opposant à Moscou. Il est donc d’autant plus paradoxal que la France envoie son ambassadeur cautionner, par sa présence, une élection dont elle a réprouvé les conditions.

Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Lors de son investiture, Vladimir Poutine inscrit dans la durée la confrontation avec l’Occident

La deuxième raison est que l’immense majorité des pays occidentaux ont boycotté cette cérémonie. Hormis la France, aucun pays du G7 n’était représenté. Pour ce qui concerne les pays de l’Union européenne (UE), l’ambassadeur de France s’est retrouvé en compagnie de ses seuls collègues de Hongrie, de Slovaquie – dont la complaisance à l’égard de Moscou est connue –, de Malte, de Chypre et de Grèce.

L’ambassadeur de l’UE est resté ostensiblement chez lui. L’Allemagne a, pour sa part, choisi de rappeler son ambassadeur à Berlin pour consultations afin de marquer sa condamnation de cyberattaques attribuées à la Russie. A un moment où la France ne cesse de plaider et de promouvoir l’unité européenne, rompre ainsi les rangs revient à donner un signal de division incompréhensible. Les médias d’Etat russes ne se sont pas privés de le souligner.

Ambiguïté

La troisième raison est que, la veille de la cérémonie d’investiture, le même ambassadeur de France avait été convoqué au ministère russe des affaires étrangères, pour la troisième fois depuis le début de l’année 2024, pour se voir reprocher la politique « provocatrice » des autorités françaises. Le Quai d’Orsay avait opportunément dénoncé ce « détournement des canaux diplomatiques à des fins de manipulation de l’information et d’intimidation ». Honorer le Kremlin de sa présence vingt-quatre heures après s’être fait tancer par son gouvernement est une étrange façon de manifester l’indignation de la France.

La quatrième raison, enfin, et pas la moindre, est que ce président intronisé mardi tel un tsar par le patriarche Kirill a, le 24 février 2022, fait envahir l’Ukraine, un Etat indépendant, sans raison et mène depuis une guerre d’agression à grande échelle qui secoue tout le continent européen. Une cinquantaine de pays, dont la France, sont engagés dans l’aide militaire à l’Ukraine contre la Russie. M. Poutine fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale pour crimes de guerre.

En guise de justification de la présence de son ambassadeur mardi, Paris a fait valoir que la France ne souhaitait pas « couper tous les ponts » avec la Russie. Préserver des canaux de communication en temps de guerre peut en effet être utile. Mais le faire de cette manière, sans coordination avec nos partenaires européens, au moment précis où la Russie hausse le ton en agitant de nouveau la menace nucléaire, contredit la position de grande fermeté affichée par la France ces derniers mois et relève plus de l’ambiguïté que de la stratégie.

Le Monde

Réutiliser ce contenu
Partager
Exit mobile version