Le projet de décret dit « Rivage » porte bien son nom, mais pas pour les raisons qu’imagine son rédacteur. L’acronyme de « rationalisation des instances en voie d’appel pour en garantir l’efficience » évoque le port salvateur où accosterait enfin le navire Justice. La réalité dessine un tout autre tableau : des justiciables par milliers, laissés en rade, regardant s’éloigner le navire qui devait les conduire au juge.
Si cette réforme passe inaperçue, c’est parce qu’elle concerne la justice civile, parent pauvre du débat public. L’imaginaire collectif ne retient que les procès d’assises, les affaires criminelles et les gardes à vue qui nourrissent les séries télévisées. Pourtant, c’est cette justice civile dont personne ne parle que les Français fréquentent – le litige avec un employeur, le différend locatif, la succession qui vire au conflit, le divorce qui n’en finit pas.
Cette justice remplit deux fonctions essentielles. Elle pacifie – l’intervention d’un juge évite que l’on n’en vienne aux mains avec son voisin, sa sœur, son employeur, son locataire – et elle égalise – elle substitue l’autorité du droit à celle de la force, empêchant que le plus riche ou le plus menaçant l’emporte systématiquement. C’est cette justice du quotidien, celle dont personne ne parle, mais dont chacun a besoin, que le décret Rivage vient amputer.
Derrière le jargon technocratique, trois mesures principales : relever de 5 000 à 10 000 euros le seuil au-dessous duquel l’appel n’est plus possible ; imposer une tentative de conciliation obligatoire jusqu’à 10 000 euros ; permettre aux juges d’appel de rejeter, sur simple ordonnance et sans débat contradictoire, les appels jugés « manifestement irrecevables ».
Le cœur de la promesse républicaine
Derrière la froide arithmétique – 13 000 affaires écartées de l’appel, soit 7 % du rôle des cours – se profilent des drames bien concrets. Un litige de 8 000 euros ? C’est plusieurs mois de salaire pour un ouvrier, de quoi se soigner ou se loger pour un petit commerçant.
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