Malgré leurs dehors un peu cruches et l’usage parfois frénétique qui en est fait, il faut croire que les émojis rendent le monde meilleur. Ces figures qui accompagnent quotidiennement quelque cinq milliards de messages électroniques ne composent pas une langue, mais rendent nos échanges plus authentiques. On leur sait gré d’introduire un peu de chaleur humaine, voire une forme d’humanité dans la froideur de la communication numérique instantanée.
Apparu en 1997, l’émoji (association d’image et d’écriture en japonais) ne pouvait naître que dans l’empire du Soleil-Levant, où exprimer ouvertement ses propres sentiments ne va pas de soi. Parmi les premiers pictogrammes figurait celui d’un homme s’inclinant respectueusement, mais d’autres, plus guillerets, sont vite apparus pour accompagner la progression fulgurante des formes de socialisation en ligne.
Peu importe la langue ou la culture, l’émoji est un élément de ponctuation qui restitue une part de la complicité et des émotions que traduisent les expressions faciales, la gestuelle ou l’intonation. Comme quelqu’un qui parlerait en vous touchant l’épaule. Un visage adressant un clin d’œil dédramatise le reproche, celui surmonté d’une auréole suggère que l’on n’en pense pas moins, et les mains jointes témoignent d’une reconnaissance sincère.
Un homme enceint
Des études américaines et canadiennes assurent que les habitués des sites de rencontre utilisant fréquemment des pictogrammes dans leurs messages obtiennent davantage de deuxième rendez-vous et sont plus susceptibles d’avoir des relations sexuelles avec les personnes rencontrées.
Encore convient-il de maîtriser les codes de ce monde acidulé mais riche en subtilités et en chausse-trapes. Un cœur rouge exprime l’amour, un cœur orange une affection amicale, un cœur noir le soutien dans une situation difficile mais aussi l’humour vache, alors qu’un cœur vert est supposé ramener à la raison un correspondant trop insistant… Nuance. Sans compter que, dans le cadre professionnel, adresser un simple clin d’œil à un ou une collègue risque d’être jugé inapproprié.
Se creusent aussi les différences générationnelles. Massivement adopté par leurs parents, l’émoji au visage pleurant de rire (numéro un en France comme partout ailleurs) est délaissé par les plus jeunes. Sans doute par provocation, ils s’en remettent désormais à celui dont le visage ruisselle de larmes, en principe destiné à exprimer un profond chagrin.
Mondialement populaire, l’émoji est un enjeu culturel et politique. En 2019, alors que les tensions avec la Chine étaient au plus haut, les habitants de Hongkong ont vu disparaître le drapeau du territoire des claviers. Ailleurs, la représentation d’une femme voilée a fait beaucoup parler, comme, plus récemment, celui illustrant un homme enceint.
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