vendredi, septembre 20

Envahir l’envahisseur, il faut oser. Surtout quand ce dernier dispose d’un important arsenal nucléaire et que l’on n’a pas soi-même la bombe. Pour limitée qu’elle soit, avec l’occupation de quelque 1 500 kilomètres carrés du territoire russe, l’incursion commencée, le 6 août, sur Koursk par les forces ukrainiennes constitue un tournant dans la guerre en Ukraine, mais aussi dans l’histoire du nucléaire.

Dans la grammaire de la dissuasion telle qu’elle s’est forgée depuis 1949, après que les Soviétiques se sont à leur tour dotés de l’arme atomique, celle-ci est censée protéger le territoire du pays qui la détient. L’escalade aurait pu être vertigineuse. Le Kremlin a fait le choix de minimiser la portée de l’opération ukrainienne, pourtant première attaque de troupes étrangères en Russie depuis 1945 – si l’on met de côté les incidents à la frontière russo-chinoise en 1969.

Le mot français « dissuasion » vient du latin dissuadere, c’est-à-dire convaincre l’autre partie par une parole ferme, voire menaçante, de renoncer à l’action qu’elle projetait. Son équivalent anglais, deterrence, est issu du latin terrere, « effrayer ». Le message doit à la fois montrer la détermination de celui qui le lance, tout en restant suffisamment flou pour que l’attaquant ne puisse pas calculer les conséquences exactes de tel ou tel acte. Pour être efficace, la dissuasion suppose un subtil dosage de clarté et d’ambiguïté calculée, où les non-dits et l’implicite comptent au moins autant que l’explicite.

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« Aucun Etat doté d’armes atomiques n’a jamais prétendu que la moindre incursion armée sur son territoire déclencherait la foudre nucléaire », tempère Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, en rappelant que « la géographie, ça compte » et que « pénétrer de 100 kilomètres en territoire russe, ce n’est pas comme pénétrer de 100 kilomètres en territoire israélien ». De fait, la doctrine nucléaire russe affirme que l’arme suprême ne sera utilisée qu’en cas de menace existentielle sur l’Etat. Celle de la France évoque les intérêts vitaux de la nation. Pour toutes les puissances qui en sont dotées, la bombe est l’arme ultime.

Grand bouleversement

La guerre en Ukraine ne s’en déroule pas moins à l’ombre du nucléaire. Menaçant, le président russe a rappelé que son pays était une puissance nucléaire, incitant les autorités françaises à remonter le niveau d’alerte. Un mois après le début de l’invasion russe, le 21 mars 2022, Le Télégramme annonçait qu’un troisième sous-marin nucléaire lanceur d’engins quittait l’île Longue et que, pour la première fois depuis la fin de la guerre froide, trois des fleurons de la force de frappe française seraient simultanément en mer. Au même moment, les Etats-Unis renforçaient le nombre de leurs ogives nucléaires hébergées dans cinq pays de l’OTAN (Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas, Turquie) dès les années 1950.

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