dimanche, mai 19
Klaus Mäkelä devant le manuscrit original de la « Neuvième », de Beethoven.

ARTE – MARDI 7 MAI À 21 HEURES – SOIRÉE SPÉCIALE

Il allait de soi qu’Arte, chaîne franco-allemande, fasse honneur à la Symphonie n9 de Ludwig van Beethoven (1770-1827), créée voici deux siècles exactement, le 7 mai 1824 : le compositeur allemand avait cru dans les promesses des Lumières et de la Révolution française avant de devenir – par-delà le bien et le mal – un symbole national allemand puis européen.

Pour ce faire, la chaîne propose, en première partie de soirée – chose rarissime pour ce qui est de la musique classique –, un riche documentaire de quatre-vingts minutes, La « Neuvième » de Beethoven. 200e anniversaire, au cours duquel Carmen Traudes, sa réalisatrice, revient sur la genèse de cette œuvre maîtresse et de sa célébrissime « Ode à la joie » conclusive, sur un texte de Friedrich von Schiller (1759-1805).

La seconde partie de soirée propose une exécution des quatre mouvements de la Neuvième partagée par quatre formations européennes : l’Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, dirigé par Andris Nelsons ; l’Orchestre de Paris et Klaus Mäkelä ; l’Orchestre du Théâtre de la Scala de Milan et Riccardo Chailly ; le Chœur de l’Académie de chant de Vienne, l’Orchestre symphonique de Vienne et Petr Popelka (il remplace Joana Mallwitz, contrainte d’annuler pour des raisons de santé).

« Surfe sur la vague »

Les chefs d’orchestre interviennent dans le film, ainsi que des universitaires, des musicologues et des historiens. Au cours de ce documentaire très fouillé (mais accessible), ces derniers rappellent de nombreux faits historiques et corrigent certains mythes associés au compositeur et à sa dernière symphonie. Par exemple : comment Beethoven, en dépit de ses idéaux révolutionnaires, est demeuré un musicien issu de la cour et dépendant financièrement de la noblesse ; comment le compositeur « surfe sur la vague », ainsi que le dit le musicologue Ulrich Konrad, quand il choisit un célèbre poème déjà mis de très nombreuses fois en musique par d’autres…

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Son confrère Mathieu Schneider affirme que cette œuvre apparemment novatrice fonctionne en fait selon des codes connus du public de l’époque, ce qui explique que la Neuvième ait été immédiatement adoptée par celui-ci. Schneider ajoute que, selon lui, le mythe beethovénien se forge au moment où Richard Wagner, aux idéaux également révolutionnaires, en fait l’« évangile humain de l’art d’avenir ». A l’ouverture du Palais des festivals de Bayreuth, en 1876, Wagner dirige la Neuvième – elle demeurera la seule œuvre à y être donnée en dehors de celles de l’auteur de la Tétralogie.

Si Mathieu Schneider affirme qu’il s’agit moins d’« une symphonie politique [que de] la symphonie de la joie », il est indéniable que le politique a récupéré l’œuvre à son profit, faisant de la Neuvième l’objet d’un bric-à-brac d’identifications multiples et imaginaires – pour parodier Jacques Lacan. Ce que le film s’emploie à longuement démontrer.

Hymne européen

Avec une musique qui « produit cette force collective, il y a grand risque à ce qu’elle soit utilisée à mauvais escient », dit la cheffe d’orchestre Joana Mallwitz. En effet, les choses se gâtent avec l’arrivée des nazis au pouvoir : le finale de la symphonie du « grand héros du peuple allemand », selon Adolf Hitler (à qui importait peu que ledit héros ait prôné l’amitié et l’égalité des peuples), sert d’hymne olympique aux Jeux de Berlin en 1936.

Les Soviétiques jugent l’« Ode à la joie » suffisamment galvanisante pour en prescrire l’usage ad nauseam. On notera que si Dmitri Chostakovitch (1906-1975) a osé dépasser le chiffre fatidique des neuf symphonies (il en écrira quinze), il fait de sa propre Neuvième (1945), resserrée et légère, une sorte de pied de nez à Beethoven et à Staline. Au vif déplaisir du Vojd (l’équivalent de « führer » en russe), qui s’attendait à un hommage « beethovénien » à sa personne…

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Récupérée par des mouvements d’ultragauche comme par des régimes d’extrême droite, désacralisée par les artistes contestataires (comme Mauricio Kagel) au moment du bicentenaire de la naissance de Beethoven, l’« Ode à la joie » trouve sa neutralité désintéressée quand le Conseil de l’Europe, en 1972, en fait l’hymne européen. A ceci près : le chef Herbert von Karajan, ancien membre du parti nazi, avait imposé de toucher des droits d’auteur sur son « arrangement »…

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Enfin – autre arrangement, symbolique cette fois-ci –, il est rappelé que Leonard Bernstein, dirigeant la Neuvième pour saluer la chute du mur de Berlin en 1989, avait substitué le mot « Freiheit » (« Liberté ») à « Freude » (« Joie »). Mais l’Américain ne faisait qu’emboîter le pas à Beethoven, qui avait lui-même taillé et transformé le texte du « poète de la joie »…

« La “neuvième” de Beethoven. 200e anniversaire », documentaire de Carmen Traudes (Allemagne, 2024, 80 min), sur Arte.tv jusqu’au 6 juin 2024. Ludwig van Beethoven : « Symphonie no 9 », concert à partir de 22 h 20 en léger différé de Leipzig, Paris, Milan et Vienne, sur Arte.tv jusqu’au 5 mai 2025.

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