vendredi, mai 17
Sudhir Kakar, à Barcelone (Espagne), le 27 janvier 2013.

Le grand intellectuel et écrivain indien Sudhir Kakar, né le 25 juillet 1938 à Nainital (alors en Inde britannique), est mort le 22 avril 2024, à 85 ans, à Goa. Esprit libre, difficile à classer, cet ingénieur devenu psychanalyste et romancier laisse une œuvre considérable, internationalement reconnue. S’y juxtaposent études théoriques, essais et fictions qui explorent les spécificités du psychisme indien, les relations entre les cultures, les tensions entre héritage traditionnel et modernité.

Issu d’une famille de magistrat, éduqué dans plusieurs villes indiennes au fil des postes successifs de son père, Sudhir Kakar s’est d’abord destiné à une carrière scientifique. A 20 ans, il obtient un diplôme d’ingénierie mécanique à l’université du Gujarat, avant de partir poursuivre ses études en Allemagne, à Mannheim. Là, il s’oriente d’abord vers le management, avant de soutenir un doctorat d’économie à l’université de Vienne. Finalement, il commence une formation psychanalytique à l’université de Francfort, qu’il ira compléter à Harvard, auprès d’Erik Erikson, dont il devient l’assistant.

Au terme de ce parcours qui s’échelonne sur une quinzaine d’années, Sudhir Kakar retourne en Inde, en 1975. A Delhi, il pratique la psychanalyse et dirige le département des sciences sociales de l’Institut indien de technologie. Sa grande familiarité avec les concepts et les manières de penser occidentales lui permet de construire son chemin : de livre en livre, il s’applique à comparer méthodiquement les façons de sentir, d’imaginer, de désirer qui caractérisent respectivement l’Inde et l’Occident.

Un théoricien doublé d’un écrivain limpide

Son premier ouvrage, The Inner World (1978, traduction française Moksha. Le monde intérieur, Les Belles Lettres, 1985) met en lumière la manière dont l’enfance indienne façonne le psychisme des adultes. Postulat central : la configuration psychologique d’un individu est en corrélation directe avec les croyances sociales et les pratiques éducatives de sa société. Le chercheur montre alors de quelle manière, en Inde, le rapport à soi, aux autres, au cosmos, se trouve façonné spécifiquement par la durée de l’attachement à la mère (puisqu’il arrive qu’un garçon de 5 ans ou 6 ans tète encore sa mère), par les places et les rôles assignés aux femmes, par l’imaginaire collectif et les récits religieux.

De proche en proche, Sudhir Kakar a su aborder pratiquement tous les aspects de la vie psychosociale de l’Inde, dans sa profondeur historique comme dans ses tensions présentes. Il s’est intéressé aux Chamans, mystiques et médecins (Seuil, 1997) de la tradition, s’est efforcé à travers plusieurs livres d’examiner la mystique et les pratiques de l’extase – sans abandonner pour autant la rationalité. Il a complété ces travaux par des fictions qui mettent en scène Tagore, Gandhi, Ramakrishna et d’autres figures emblématiques de la culture indienne, avant de brosser, avec Les Indiens (Seuil, 2007), ouvrage cosigné avec son épouse, l’artiste et écrivaine Katharina Kakar, un portrait vivant et subtil de tout un peuple.

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