Dans les rues de Venise, des hommes et des femmes défilent instruments à la main. En ce vendredi 17 octobre, ces musiciens de la Fenice livrent un concert en plein air, mêlant des airs lyriques à l’hymne national italien. Cet événement n’est en rien un divertissement spontané mais une protestation réfléchie, des musiciens de la Fenice en grève depuis le 8 octobre.
Le temple de l’Opéra italien traverse une crise depuis la nomination de Beatrice Venezi, 35 ans, au poste de directrice musicale pour la période 2026-2030.
D’aucuns expliquent cette promotion, annoncée le 22 septembre dernier, par la proximité de la cheffe d’orchestre avec le pouvoir. Conseillère pour la musique au ministère de la Culture sous Giorgia Meloni, Beatrice Venezi soutenait déjà le parti d’extrême droite Fratelli d’Italia lors de la campagne de 2022. Elle est également la fille de Gabriele Venezi, ancien leader du parti néofasciste Forza Nuova.
Son nom a été poussé par le surintendant Nicola Colabianchi, ancien militant au sein du mouvement d’extrême droite Ordine Nuovo. Une décision approuvée à l’unanimité par le président de la Fondation et maire de Venise Luigi Brugnaro, et le conseil d’administration… mais pas par l’orchestre. La coutume veut que le candidat à ce poste rencontre les équipes au préalable afin qu’elles l’approuvent de manière informelle. Face à ce tollé, le surintendant a tenté de minimiser la portée du poste, arguant qu »il s’agit de diriger une soirée majeure, trois concerts et deux opéras par saison ».
Pour les grévistes, le problème ne relève pas d’une opposition politique – puisque tous les avis existent au sein de l’orchestre -, mais d’un constat professionnel. Le parcours de la nouvelle directrice ne correspond pas aux exigences d’une institution de ce calibre. « Ce qui nous rassemble, c’est le constat que son parcours reste trop léger pour un poste aussi exigeant », explique le violoniste Eugenio Sacchetti à Libération.
« Je l’ai vue diriger dans certaines vidéos: elle n’est pas à la hauteur d’une telle tâche. (…) La Fenice n’est pas un terrain de formation pour un jeune chef d’orchestre », déclare Fabio Luisi, directeur musical de l’Orchestre de Dallas, au Corriere della Sera.
Dans une lettre ouverte, l’orchestre a souligné que Beatrice Venezi n’a jamais dirigé d’opéra ni de concert symphonique en affiche à la Fenice, et que son parcours n’est pas aussi chevronné que celui de ses prédécesseurs. « La Fenice ne peut pas être un lieu d’entraînement, c’est un point d’arrivée », souligne Emiliano Esposito, artiste des chœurs, dans des propos rapportés par Libération.
Une mobilisation très suivie
La contestation ne se limite pas aux seuls artistes de la Fenice. 140 habitués de l’Opéra se sont dits prêts à résilier leur abonnement si la nomination de Beatrice Venezi était maintenue. Une pétition lancée le 26 septembre réclamant la révocation de la cheffe d’orchestre rassemble désormais plus de quinze mille signatures. L’intégralité des 300 employés du théâtre demandent l’annulation cette nomination et toutes les fondations lyriques et symphoniques du pays soutiennent la mobilisation.
D’autant que le mouvement s’enlise. La grève, votée le 8 octobre, a débuté le 17 octobre, jour de la première de Wozzeck d’Alban Berg qui devait clôturer la saison. Le 19 octobre, pour la deuxième représentation de l’œuvre autrichienne, les membres de l’orchestre ont lu un nouveau communiqué syndical depuis le palcoscenico, recevant les applaudissements du public.
Le 23 octobre, les représentations syndicales du théâtre (CGIL, CISL, UIL et Fials) ont franchi une nouvelle étape en demandant formellement les démissions du surintendant Nicola Colabianchi. Dans leur communiqué, ils affirment que « la gestion du Surintendant a rompu de manière irréparable le rapport de confiance avec les travailleuses et travailleurs du Théâtre ».
Le mouvement a pris une telle ampleur que le lendemain, le théâtre a annoncé qu’il supprimerait désormais tous les commentaires offensifs ou les prises de position non liées aux publications, après que le post annonçant la nomination a reçu plus de 7.000 commentaires, quasi tous critiques.
Le maire Luigi Brugnaro, président de la Fondation, a qualifié cette protestation d' »irrespectueuse envers le public et violente envers Venezi », invitant les musiciens à ne pas s’opposer aux concerts de Noël en plein air. Il a également pointé du doigt le violoncelliste Marco Trentin, secrétaire de la Fédération italienne des violoncellistes (FIALS), le décrivant comme « un artiste populaire qui prendra sa retraite dans quelques mois ».
La réponse des syndicats ne s’est pas fait attendre, selon le journal local Corriere del Veneto qui cite une lettre adressée au maire, le 25 octobre dernier: « Si vous pensez vraiment qu’il s’agit d’une instrumentalisation politique, que le fait d’autoriser une manifestation publique relève de votre bienveillance et non d’un droit démocratique (…), que ceux qui créent la culture peuvent être réduits à une bande-son pour les achats de Noël, cela se passe de commentaire. »
Article original publié sur BFMTV.com




