dimanche, mars 16

La destruction du barrage du sud de l’Ukraine a entraîné en juin 2023 des inondations meurtrières, qui ont également eu de lourdes conséquences sur le faune locale.
Les effets à long terme représentent aussi un danger, tant pour les hommes que pour les animaux, alertent des scientifiques, qui ont publié cette semaine une étude sur le sujet.
Des sédiments contenant des métaux lourds toxiques ont en effet été exposés par les eaux, une lourde menace pour la vie locale.

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Initiatives environnementales

L’ampleur des dévastations est telle que leur impact environnemental serait comparable à celui de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. La destruction du barrage ukrainien de Kakhovka (nouvelle fenêtre) en juin 2023, dans le sud du pays, a déclenché une « bombe à retardement toxique » pour l’environnement, selon une étude citée par le journal britannique The Guardian

Cette structure soviétique massive construite sur le fleuve Dniep, occupée par les troupes russes, avait été partiellement brisée par une explosion (nouvelle fenêtre) à l’aube du 6 juin 2023. Les eaux se sont déversées de façon spectaculaire, une catastrophe dont Kiev et Moscou se sont renvoyé la responsabilité (nouvelle fenêtre). Le bilan humain reste incertain, puisqu’une partie des victimes ont été touchées en zone occupée par les Russes, mais il est d’ores et déjà certain que des dizaines de personnes ont péri. 

Entre Kakhovka et Kherson, 110.000 habitants et 60.000 bâtiments ont été touchés par les inondations, et 84 personnes ont perdu la vie, selon cette étude (nouvelle fenêtre) publiée jeudi 13 mars dans la revue Science. Mais au-delà de la tragédie humaine, cette dernière révèle aussi que la destruction a entraîné de lourds impacts sur l’environnement. Elle « a libéré des polluants qui s’étaient accumulés dans les sédiments du réservoir, créant ainsi une source de contaminants à long terme qui pourrait être propagée par de futures inondations », précise-t-elle dans son résumé.

Des conséquences comparables aux « effets des radiations »

Entravés dans leur travail par les combats toujours en cours dans la zone, les chercheurs sont tout de même parvenus à évaluer les conséquences de la catastrophe, notamment grâce à des données de terrain couplées à la télédétection et la modélisation. La publication est d’ailleurs dédiée à la mémoire de Lyudmyla Shevtsova, une scientifique ukrainienne tuée début janvier dans une frappe de missile contre Kiev, et qui avait participé aux recherches.

Selon l’article, lorsque le réservoir du barrage s’est vidé, des sédiments du lit du lac contenant 83.300 tonnes de métaux lourds « hautement toxiques » (nouvelle fenêtre), dont le plomb, le cadmium et le nickel, ont été exposés. Ils estiment que moins de 1% de ces substances ont été libérés lors de cette destruction, ce qui représente malgré tout environ 800 tonnes de métaux lourds. 

Destruction du barrage de Kakhovka : nous avions pu le visiter il y a un anSource : JT 13h Semaine

Les polluants restants représentent aussi un vrai danger (nouvelle fenêtre) : ils devraient s’infiltrer dans les rivières à mesure que les pluies éroderont les sédiments exposés. De quoi « affecter les populations humaines de la région, car l’eau des rivières est largement utilisée par les ménages pour compenser les insuffisances de l’approvisionnement (nouvelle fenêtre) en eau municipale », note l’étude. 

« Tous ces polluants déposés au fond de l’eau peuvent s’accumuler dans différents organismes, passer par le réseau alimentaire et se propager de la végétation aux animaux et à l’homme », a expliqué au Guardian l’autrice principale de l’étude, Oleksandra Shumilova, membre de l’Institut Leibniz d’écologie des eaux douces et des pêches continentales. « Les conséquences peuvent être comparées aux effets des radiations », a-t-elle ajouté, dressant un parallèle entre ces impacts environnementaux et de la catastrophe nucléaire de la centrale ukrainienne de Tchernobyl (nouvelle fenêtre), en avril 1986. 

La question épineuse de l’avenir de la zone

Les conséquences sur la faune sont aussi dramatiques : le déversement des flots a tué 20 à 30% des rongeurs qui vivaient dans les plaines inondables, estiment les chercheurs. Côté espèces aquatiques, il est fort probable que quelque 10.000 tonnes de macro-invertébrés, qui regroupent notamment crustacés et mollusques notamment, aient été perdues. Tout comme l’entièreté des jeunes poissons, « la crue ayant eu lieu immédiatement après la ponte »

Selon l’étude, la zone devrait atteindre un niveau de biodiversité (nouvelle fenêtre) équivalent à 80 % d’un écosystème qui ne serait pas endigué, d’ici cinq ans. Certains poissons, comme l’esturgeon et le hareng, disparus depuis des décennies, ont fait leur retour, tandis que sur terre, des animaux comme des sangliers ont gagné la zone, alerte le Guardian

Les écologistes ukrainiens se divisent sur la nécessité ou non de rebâtir le barrage après la guerre, certains plaidant plutôt pour maintenir le nouvel écosystème qui prend forme. Mais selon l’étude, cette approche laisse la question de la contamination par les métaux lourds non résolue. Pour l’heure, on ignore en effet si la végétation actuelle sera suffisante pour fixer les sédiments pollués. Une question d’autant plus difficile à arbitrer que les hostilités se poursuivent (nouvelle fenêtre), empêchant les scientifiques de mener un travail de terrain poussé. 

Tant que la guerre perdure, les chercheurs s’inquiètent plus largement de « risques considérables (…) de nouvelles attaques de missiles sur les barrages des cascades du Dniepr et du Dniestr ». En cas de nouvelle destruction de telles infrastructures, « le bilan humain et les dommages environnementaux pourraient être cataclysmiques », mettent-ils en garde. Raison selon eux de mettre en place une vraie protection des barrages dans les zones militaires, face au risque de « répercussions environnementales à grande échelle et à long terme ».


M.L.

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