dimanche, juin 30

« Tu m’as recueilli comme ton enfant et tu m’as permis de déployer mes racines, moi, le fils de nulle part. » Kamil Zihnioglu, photographe parisien de mère germano-syrienne et de père turc, s’est installé en Corse fin 2020. Il publie aujourd’hui un livre de photos, Intraccià, chez Saetta, une toute jeune maison d’édition qu’il vient de cofonder ; expose du 12 juin au 12 juillet à Bastia ; et, dans le texte qui accompagne son travail, tutoie la Corse. « Ile d’amour ! » Le jeune homme s’inscrirait-il dans la tradition « tinorossienne » des énamourés de cette terre méditerranéenne, qu’ils soient insulaires ou bien pinzutu (non-corses), comme lui ?

« Fils de nulle part » : c’est en réalité sur ces quatre mots qu’il faut s’arrêter pour regarder le travail de ce photographe de 31 ans. En langue corse, intraccià signifie « à la recherche des racines ». C’est le terme utilisé pour les sangliers ou les cochons lorsqu’ils labourent et saccagent des champs entiers avec leurs hures et leurs groins. Kamil Zihnioglu s’est fait happer par la Corse comme ceux qui n’ont pas de village ou de maison de famille – ses photos donnent parfois l’impression que l’île l’engloutit.

« Je ne suis pas chez moi, et pourtant j’y suis chez moi, écrit l’académicienne et philosophe Barbara Cassin, autre insulaire d’adoption, dans La Nostalgie (Autrement, 2018). C’est parce que je n’y ai aucune racine que la déracinée que je suis, que je me plais à être ou que j’espère demeurer (…) s’y trouve en effet commechez elle”. » C’est un peu pareil pour le photoreporter, parti se « perdre dans un monde inconnu » et pourtant vite devenu familier des lieux.

L’hiver, « saison du kif »

La chance de Kamil Zihnioglu, c’est de découvrir la Corse l’hiver. Plusieurs mois après avoir suivi, pour Associated Press (AP) et Sipa, la dernière année du quinquennat de François Hollande, il s’installe, en décembre 2020, dans un hameau de Porto-Vecchio, dans l’extrême-sud de l’île. Lui l’écrit « Porti Vechju », car il débarque dans une décennie nouvelle. L’île, où « près d’un logement sur trois est une résidence secondaire », est à majorité nationaliste et les noms de villes et de villages y compris dans le journal Corse-Matin – sont désormais corsisés.

L’hiver en Corse est la saison de la dépression, celle qui suit l’été où sa population triple. Celle qui précède le printemps, quand elle se transforme en bouquet de fleurs et que, dans les rues, grondent marteaux et perceuses qui fignolent paillotes, terrasses et cabanons pour la belle saison. Un creux annuel où l’île se révèle sous un autre visage et qu’il parcourt en dehors des battues de touristes.

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