mardi, avril 1

Le grand remplacement existe. Précisons qu’il est d’ordre lexical : aux racines gréco-romaines de l’Europe enseignées naguère s’est substitué un label étonnant, la « civilisation judéo-chrétienne », qui stupéfie Sophie Bessis. Avec La Civilisation judéo-chrétienne. Anatomie d’une imposture (Les Liens qui libèrent, 124 pages, 10 euros, numérique 7,50 euros), présenté comme un prolongement de l’essai L’Occident et les autres. Histoire d’une suprématie (La Découverte, 2001), l’historienne et journaliste entend déconstruire, si ce n’est démolir, cette « expression devenue une référence hégémonique », jusqu’à être reprise par des chefs d’Etat − Nicolas Sarkozy comme Emmanuel Macron ont déjà évoqué les « racines judéo-chrétiennes » de l’Europe.

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Le flou cache, on le sait, un loup. La « civilisation judéo-chrétienne », véritable « trouvaille sémantique et idéologique », reste marquée par un creux conceptuel inversement proportionnel au caractère performatif d’un terme introduit « au tournant des années 1980 ». Sophie Bessis relie son essor à l’expression d’une culpabilité liée à la Shoah. La seconde guerre mondiale constitue une rupture, car elle abat la supériorité morale de l’Occident, et suscite « deux stratégies complémentaires » pour « retrouver l’innocence perdue » : une défense inconditionnelle de l’Etat d’Israël, ainsi qu’une auto-absolution sémantique par la définition d’un judéo-christianisme censé camoufler la persécution bimillénaire des juifs par l’Europe chrétienne.

Islamophobie implicite

Un tour de passe-passe se serait opéré. Une fois le judaïsme absorbé dans son identité, l’Occident redéfinit alors son altérité en s’opposant à l’islam, appréhendé comme une nouvelle barbarie. Car l’inclusivité du terme suggère une nouvelle exclusion. Israël devient, dès lors, l’avant-poste de la civilisation occidentale – « L’Europe se termine en Israël », affirmait son premier ministre, Benyamin Nétanyahou, en 2017. Reste que l’islamophobie implicite de l’expression n’empêche pas ses principales cibles de s’en servir aussi. Dans une méritoire quête de justesse, Sophie Bessis signale la popularité du « complot judéo-chrétien » auprès de « toutes les composantes de la galaxie islamiste », de l’Iran au Maroc.

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