dimanche, mai 5
Jürgen Habermas, en 1969, à l’université de Francfort.

Au cours des dernières décennies, le travail d’un des plus grands philosophes de ce temps, l’Allemand Jürgen Habermas, a semblé se concentrer sur les problèmes posés par la bioéthique (L’Avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ?, Gallimard, 2002) et, plus récemment, sur l’articulation entre la foi et le savoir (Une histoire de la philosophie I et II, Gallimard, 2021 et 2023). On aurait pu imaginer que cette œuvre avait pris un tour résolument anthropologique et éthique, Habermas réservant les questions politiques à ses régulières interventions dans la presse, où il tient magistralement le rôle d’un intellectuel public, capable de commenter l’actualité avec précision et compétence, surtout quand il s’agit de ses sujets de prédilection : l’Europe, la réunification, la mémoire allemande, la mondialisation et, dernièrement, la montée en puissance du populisme.

Or, il n’en est rien. Le volume L’Avenir de la démocratie, qui vient de paraître, a le grand mérite de recentrer notre regard sur le foyer politique qui anime l’œuvre de Habermas depuis les années 1950. En son fond, elle demeure une réflexion profonde sur une démocratie qui tire sa légitimité de l’échange d’arguments entre citoyens, dans une situation que l’auteur nomme « communicationnelle ». L’étude de la démocratie, de ses conditions de possibilités et de ses promesses fragiles depuis Kant et les Lumières, ne cesse de solliciter les générations qui ont suivi la seconde guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, Clotilde Nouët, l’éditrice du volume dans « La Collection », chez Bouquins, est une spécialiste appartenant à une génération infiniment plus jeune que celle de Habermas (né en 1929). Elle témoigne de la vitalité de l’œuvre comme de sa réception.

Voici en quatre mots-clés quelques points d’entrée dans la pensée d’un philosophe qui accompagne notre histoire depuis l’après-guerre.

Démocrate

Parce qu’il appartient à une nation qui, hormis le court intermède de Weimar (1918-1933), n’avait connu jusqu’en 1945 qu’une monarchie impériale puis le totalitarisme nazi, la formation et l’évolution de Habermas dans les années 1940 et 1950 coïncident avec la nouveauté de l’expérience démocratique, fût-ce sous la forme « paternaliste » du chrétien-démocrate Konrad Adenauer. Dans la partie occidentale occupée par les Alliés, en effet, avait fini par s’édifier une république constitutionnelle, même si les anciens nazis fourmillaient au sein de l’administration et des universités, en particulier chez les premiers mentors philosophiques de Habermas. D’où, chez lui, la valorisation obstinée d’une émancipation qui plonge ses racines dans la Révolution française − y compris face au mépris affiché par les leaders du mouvement étudiant des années 1960 −, ainsi qu’une méfiance tenace envers toute politique fondée sur l’ethnicité.

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