mercredi, janvier 8

Décédé à l’âge de 96 ans, le fondateur du Front national a accompagné la vie politique française durant 62 ans.
Icône de l’extrême droite, antimodèle pour plusieurs générations, cet as de la communication politique a marqué la Vᵉ République par la constance de son opposition virulente aux pouvoirs en place.
Ses provocations et son talent oratoire ont également fait de lui un précurseur du populisme moderne.

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Jean-Marie Le Pen, figure de l’extrême droite française, est mort

L’extrême droite est orpheline. Jean-Marie Le Pen, l’une des principales figures de la Vᵉ République, est mort ce mardi 7 janvier à l’âge de 96 ans, après avoir contribué, durant plus d’un demi-siècle, à une vie politique qu’il connaissait parfaitement.

Tribun érudit et cultivé, as de la communication politique, il a aussi marqué les décennies passées par ses multiples condamnations pour apologie de crimes de guerre, propos négationnistes, racistes et antisémites et injures publiques. Une « stratégie avouée de provocation parce qu’il pense que la polémique est positive pour le mouvement », avait résumé en 2015 sa fille, Marine, au moment de leur rupture sur fond de « dédiabolisation ».

Député et militaire sous la IVe République

Pupille de la Nation – le bateau de son père, marin-pêcheur, a sauté sur une mine en 1942, le natif de La Trinité-sur-Mer commence sa vie politique sous la IVe République. Après avoir milité durant ses études au sein de la « Corpo » de l’université de droit, Jean-Marie Le Pen, proche de l’Action française, sert comme sous-lieutenant durant la guerre d’Indochine, en 1954-1955. Revenu en France, il est élu député à 27 ans, avec le soutien du mouvement poujadiste, lors des législatives de 1956. Il interrompt son mandat, la même année, pour intégrer le 1ᵉʳ régiment étranger de parachutistes au sein duquel il participe activement à la guerre d’Algérie. Il sera réélu entre 1958 et 1962, devenant un ardent défenseur des partisans de l’Algérie française. 

Jean-Marie Le Pen, député, en 1956. – Steve TAVOULARIS / UPI / AFP

L’inventeur de la marque « FN »

Après avoir dirigé la campagne de Jean-Louis Tixier-Vignancour, candidat de l’extrême droite lors de la présidentielle de 1965, Jean-Marie Le Pen est appelé par les responsables du mouvement néofasciste Ordre Nouveau pour prendre la tête, en 1972, du nouveau Front national, dont il tiendra les rênes d’une main de fer jusqu’en 2011, malgré les nombreuses scissions ou tentatives de “putsch” au sein de l’extrême droite. 

Les débuts du FN ont été marqués d’une certaine violence, Jean-Marie Le Pen et sa famille ayant échappé à un attentat à son domicile parisien en novembre 1976, puis son numéro 2, François Duprat, ayant été tué dans un attentat à la voiture piégée en mars 1978. Malgré tout, le fondateur du FN est parvenu à rassembler les grandes composantes de l’extrême droite française et, mieux encore, à faire entrer cette famille politique honnie depuis la Seconde Guerre mondiale dans le paysage politique. 

L’ascension par la provocation

Après les scores confidentiels des années 1970, Jean-Marie Le Pen a permis à son parti de remporter ses premiers succès électoraux grâce à des listes d’union de la droite lors des municipales de 1983. Dès lors, le président du FN n’aura de cesse de revendiquer une visibilité plus grande pour son parti. Son passage dans l’émission « L’Heure de vérité », le 13 février 1984, marque le début de la vie médiatique du « Menhir », qui y révèle ses talents d’orateur et de provocateur, avec sa fameuse « minute de silence » pour les victimes « de la dictature communiste ». Un simple passage télé qui en annonce bien d’autres, et qui poussera des milliers de personnes à adhérer au FN. 

La percée continue du parti d’extrême droite (élections européennes de 1984, législatives et régionales de 1986, présidentielle de 1988…) est rythmée dès lors par les nombreuses provocations verbales de Jean-Marie Le Pen (« détail de l’histoire », propos sur les « sidaïques » en 1987, « Durafour crématoire » en 1988…), qui lui vaudront des condamnations judiciaires à de nombreuses reprises. Parallèlement, Jean-Marie Le Pen peaufine un discours politique fondé sur la « préférence nationale », le rejet de l’immigration, la « sécurité, première des libertés » et le rejet de l’Europe de Maastricht. Des positions qui vont progressivement dépasser le strict cadre du FN, ce que certains ont nommé « la lepénisation des esprits », signe de l’influence du leader populiste sur la vie politique. 

L’ascension politique de Jean-Marie Le Pen culmine en 2002, lorsqu’il parvient à se hisser au second tour de l’élection présidentielle face à Jacques Chirac, avec 16.9% des suffrages. Il ne dépassera plus ce « plafond de verre » jusqu’à son retrait de la présidence du FN en 2011, et la normalisation lancée par Marine Le Pen. 

Le leader déchu

Soucieux de continuer à exister après l’accession de Marine Le Pen à la tête du FN, dont il s’estime dépositaire même s’il n’en est plus le président d’honneur depuis 2018, Jean-Marie Le Pen va multiplier les interventions publiques. Il n’hésitera pas à contredire sa fille, ou à renouer avec ses provocations verbales au moment où celle-ci est engagée dans le processus de « dédiabolisation » du parti. 

Les propos réitérés en 2015 sur les chambres à gaz, l’occupation allemande et Philippe Pétain marquent la rupture définitive avec Marine Le Pen, qui engage une procédure disciplinaire à son encontre. Une longue guérilla juridique qui se poursuivra jusqu’à la fin. Brocardé par le nouvel état-major FN, même s’il contribue au financement de la campagne de sa fille en 2017, Jean-Marie Le Pen tend la main vers ses derniers fidèles pour fonder ses « comités Jeanne ». Il aura vécu assez longtemps pour voir « son » parti renommé « Rassemblement national », avec la volonté assumée d’effacer les années Le Pen père. « Un assassinat politique », disait-il à cette époque. Quand il parlait du FN, il parlait aussi de lui-même. 


Vincent MICHELON

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