vendredi, mai 17
Hervé Pierre et Clotilde Mollet dans « Moman – Pourquoi les méchants sont méchants ? », mis en scène par Noémie Pierre, à La Scala Paris, en avril 2024.

Tout va de guingois avec Jean-Claude Grumberg, auteur de Moman − Pourquoi les méchants sont méchants ?, mis en scène par Noémie Pierre dans un petit amphithéâtre logé au sous-sol de La Scala, à Paris. Les personnages (une mère et son fils) ne disent pas maman mais « moman », ni papa mais « popa », ni énerver mais « inerver », ni endurcir mais « adurcir ». Le petit garçon prénommé Louistiti est joué par une comédienne (Clotilde Mollet), sa mère est interprétée par un acteur (Hervé Pierre), le mari, trop « nirveux », a quitté le foyer, l’enfant tombe amoureux d’une fillette au « cœur de pierre », les héros fictifs ne sont pas en chair et en os mais en bois. Quant au décor (un habitacle de toiles tendues), il se démantèle peu à peu.

Mère et fils vivotent ensemble dans la précarité. Plus d’électricité pour éclairer la maison. Du riz à tous les repas et des clés (« riches en fer », affirme la mère) à sucer faute de mieux, en guise de dessert. Le gamin rechigne à aller à l’école, sa « moman » ne déteste pas qu’un peu d’alcool vienne embellir son quotidien. Il l’assomme de questions, elle lui répond de biais. A force de « pourquoi », il l’épuise. Mais elle l’aime. Et lui tout autant.

Cet amour-là (autobiographique) est le ciment d’un texte moins puéril qu’il n’y paraît. Rendre hommage à sa mère, à presque 85 ans, relève d’un devoir impérieux de mémoire. Or, depuis la sortie, en 2019, de La Plus Précieuse des marchandises (Seuil), Jean-Claude Grumberg observe son passé avec une tendresse alourdie d’inquiétude. Celle qui, face au retour de l’antisémitisme, réactive des souvenirs anciens. A l’âge de 3 ans, Grumberg (qui est né en 1939) assiste à la rafle de son père et de ses grands-parents. Si ses héros sont en bois (et pas du même que leur entourage), c’est parce qu’ils sont juifs. Fidèles à la maxime du grand paternel, « pour vivre heureux, vivons cachés », ils font silence sur leurs origines. Ce qui n’empêche pas le petit garçon d’être hanté par des images de guerre. Et sa mère d’être gagnée par une noirceur qu’elle surnomme « la blouse ».

Apparente naïveté et humour

L’extrême élégance de l’auteur est pourtant de dissimuler ce continent d’angoisse sous l’apparente naïveté et l’humour du propos. Sa pudique délicatesse le fait s’adresser aux enfants pour pouvoir, puisant dans leur imaginaire, leurs émotions, leurs métaphores, leur raconter le pire sans le leur asséner. Si Moman enchante le jeune public, sa réception par les plus vieux s’accompagne d’une vigilance tendue, que l’interprétation des deux comédiens entretient habilement.

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