Emilia Perez est le dixième long-métrage de Jacques Audiard. Auteur populaire, amateur du cinéma de genre, ne dédaignant pas le style ostentatoire, il pousse ici la barque très loin, avec cette comédie musicale mexicaine queer passée au mixeur du film criminel et tournée en studio à Bry-sur-Marne (Val-de-Marne). Le film, pressenti pour la Palme d’or, fut très apprécié au Festival de Cannes en mai, où il remporta le Prix du jury, ainsi que celui de l’interprétation féminine pour l’ensemble de ses actrices, en tête desquelles Selena Gomez, Zoe Saldana et Karla Sofia Gascon.
Comédie musicale, décor mexicain, film noir, mélo transgenre, stars hollywoodiennes, dialogues en espagnol : cet impossible cartel est-il sorti tout armé de votre cerveau ou s’est-il construit par sédimentation ?
C’est une affaire qui remonte à 2019, les souvenirs se télescopent. Mais l’impulsion vient certainement d’un chapitre du roman de Boris Razon Ecoute [Stock, 2018], dans lequel un narcotrafiquant hyperviolent infléchit son destin en entreprenant un processus de transition. Cette lecture me surprend totalement, et c’est la façon dont cela me surprend qui finalement me surprend. Comme si cela cristallisait quelque chose qui était déjà là. De même avec le désir de comédie musicale. Dès Un héros très discret [1996], il y a une trentaine d’années, on avait eu avec le compositeur Alexandre Desplat le projet d’écrire un petit opéra. Et puis la paresse nous a anéantis. Ensuite, c’est revenu avec mon coscénariste Thomas Bidegain, et nous avons de nouveau abandonné. Il y avait donc, de toute évidence, un usage de la musique à préciser de mon côté. Ce qui fait que le premier texte que j’écris pour ce film, c’est un livret d’opéra.
Quant au Mexique et à la langue espagnole ?
Ça aussi, c’était là tout de suite. Le français était absurde, l’anglais indécent.
Pourquoi le français était-il absurde ?
D’abord parce que ça se passe au Mexique. Ensuite parce que le français est une langue accentuée, c’est une langue embarrassante, même si c’est sublime chez Debussy. Ce n’est pas une langue musicale comme peuvent l’être l’anglais ou l’espagnol.
La question de la transition vous avait-elle semblablement effleuré avant ?
Oui, notamment au moment des Frères Sisters [2018]. La patronne du saloon était déjà une actrice trans. Mais ce qui est intéressant ici, c’est que le personnage trans se trouve au centre d’un univers où le machisme règne en maître. C’est ce paradoxe-là qui est fructueux.
Comment avez-vous rencontré l’actrice Karla Sofia Gascon, qui interprète à la fois Manitas del Monte et Emilia Perez ? Aviez-vous des prérequis concernant ce personnage ?
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