dimanche, mai 12

La première fois que j’ai joué du piano lors d’un concert en France, j’ai eu une sensation bizarre. Nouvelle. Tout était différent. Le public, d’abord. Les Français connaissent moins ma culture, à laquelle je suis très attaché. Surtout, ici, les femmes peuvent chanter sur scène librement. C’est impossible, chez moi, en Iran. Ce manque de liberté dans la musique m’a poussé à l’exil. J’ai quitté mon pays en 2018, avec le rêve de devenir pianiste professionnel.

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J’ai grandi à Téhéran, dans une famille de musiciens. Mes premières leçons de piano débutent lorsque j’ai 6 ans. Cet instrument occupe tout de suite une place importante dans ma vie. Je pratique tous les jours, après l’école. A la maison, il y a deux acoustiques. Mon père, lui-même pianiste et ingénieur, a accordé différemment le deuxième pour pouvoir jouer des mélodies orientales qui, contrairement aux mélodies occidentales, ne fonctionnent pas qu’en demi-ton mais aussi en quart de ton. J’aime le baroque, le romantisme. Mes doigts effleurent les touches et je fais résonner Mozart, Brahms, Schubert ou encore Beethoven.

A l’abri des oreilles inquisitrices, dans mon foyer iranien, je ne risque rien. Je peux faire de la musique librement. Mais pour jouer en public, c’est différent. Impossible de sortir un album ou d’organiser un concert sans autorisation préalable du ministère de la culture. Certains styles musicaux sont interdits, comme le rap. Braver ces interdictions peut conduire à une incarcération.

Un milieu musical très réglementé

Entre mes 12 ans et mes 16 ans, je participe à une dizaine de concerts. J’intègre la chorale de l’ambassade d’Autriche en tant que pianiste, grâce à mon professeur de musique, qui a fait ses études à Vienne. Nous jouons des mélodies classiques d’origine allemande et des comédies musicales. Une fois, nous avons interprété Le Livre de la jungle. Mais toujours dans des lieux fermés au public ou avec un public limité. Là où la musique n’est pas réglementée.

Je me suis aussi produit lors de concerts dans des salles publiques, notamment pour mon premier récital lorsque j’avais 16 ans. J’ai pu jouer mes propres compositions. Mais pour ce concert, j’ai dû demander une autorisation. Je l’ai obtenue trois jours avant l’événement, alors que j’avais fait ma demande trois mois auparavant…

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Cette demande est soumise à la délibération d’une commission au ministère de la culture iranien. Il faut lui transmettre son répertoire de chansons. Beaucoup n’obtiennent pas l’accord pour se produire en concert ou sortir un single. La seule fois où j’ai moi-même fait les démarches, j’ai dû enchaîner les allers-retours au ministère jusqu’à ce qu’ils acceptent.

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