Luis Martinez est directeur de recherche à Sciences Po-CERI, spécialiste du Mahgreb et consultant pour l’Union européenne en Afrique subsaharienne. Il est l’auteur de L’Afrique, le prochain califat ? La spectaculaire expansion du djihadisme, paru en février aux éditions Tallandier (238 pages, 20 euros).
Vous partez d’une hypothèse : certains Etats du Sahel pourraient devenir le siège d’un califat et suivre le chemin de l’Afghanistan. La chute de Bamako ou de Ouagadougou, comme celle de Kaboul, vous semble-t-elle aujourd’hui possible ?
Oui, l’hypothèse me semble aujourd’hui tout à fait envisageable. Pas sous la forme d’une prise du pouvoir par la force d’un groupe djihadiste, mais par une usure des forces de défense de ces pays, qui conduirait à des compromis pour un retour à la paix en contrepartie d’une exigence d’application d’un certain nombre de règles, notamment issues de la charia. Les groupes djihadistes imposent déjà cela dans les régions du Mali qu’ils contrôlent ou sur lesquelles ils ont une forte influence. Leur vrai défi aujourd’hui est de trouver des partenaires politiques, religieux et militaires capables d’accepter que l’une des issues à la guerre serait dans ce type de configuration.
Vous dites que les organisations djihadistes ont appris de leurs erreurs en Syrie et en Irak et évitent désormais les villes pour se concentrer sur les zones rurales. Une offensive sur une capitale serait donc trop risquée ?
Les djihadistes sahéliens ont tiré une grande leçon de ce qui s’est passé à Syrte, en Libye. L’expérience a montré qu’avoir un émirat qui fait allégeance au califat au Levant, tout en menaçant l’Europe à ses portes, entraîne l’intervention d’une coalition internationale. Je crois donc que même si une prise du pouvoir par la force peut être une option, celle-ci ne sera pas considérée en interne comme bénéfique. Au contraire, les djihadistes se disent qu’il vaut mieux prendre le temps de travailler en profondeur les élites, des relais qui pourront, à un moment donné, considérer que leur survie passe par un changement de norme politique et religieuse. Aujourd’hui, du fait de leur puissance sur le terrain, les groupes armés djihadistes peuvent espérer trouver dans les forces politico-religieuses salafistes les partenaires de demain pour cogérer les Etats ou les républiques islamiques du futur.
« Alors que les grandes puissances se retirent, une aide des pays du Golfe suscite l’espoir de nombreux acteurs »
Le salafisme promu par l’Arabie saoudite pendant des années fait-il de l’islam politique la dernière alternative ?
Il vous reste 79.84% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.