La performance vaut autant que le symbole. À l’occasion des 75 ans de son indépendance, survenue en 1947, l’Inde s’est hissée au rang de cinquième économie mondiale, dépassant le Royaume-Uni, l’ancienne puissance coloniale qui régna sur le sous-continent pendant deux siècles et pilla allègrement ses ressources.
Les plus optimistes, le premier ministre, Narendra Modi, en tête, prédisent que l’heure de l’Inde est venue. Le pays le plus peuplé de la planète, avec son 1,4 milliard d’habitants, son fantastique réservoir de main-d’œuvre et sa population jeune, serait promis à supplanter la Chine, l’ancienne usine du monde devenue moins attractive depuis la crise due au Covid-19.
Pour l’heure, la cinquième puissance mondiale, qui accueille les chefs d’Etat du G20 les 9 et 10 septembre, n’est encore qu’un colosse aux pieds d’argile, très éloigné du niveau de développement des autres grandes économies. Narendra Modi l’a lui-même reconnu, en fixant l’horizon de 2047 pour faire de l’Inde un pays développé. Le pays affiche certes une croissance insolente de 7,2 % (2022-2023) mais celle-ci ne suffit pas à absorber les quelque 10 à 12 millions de nouveaux entrants qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi.
« L’Inde apparaît comme l’économie qui connaît la croissance la plus rapide au monde, mais derrière les panneaux d’affichage se cachent des drames humains à grande échelle », relève Ashoka Mody dans une tribune dans Project Syndicate. Pour l’économiste de l’université de Princeton et ancien de la Banque mondiale, « l’incapacité à créer des emplois est liée à un secteur manufacturier à la peine qui reflète les difficultés du pays à s’insérer dans le commerce mondial ».
Economie informelle
C’est une des caractéristiques de l’économie indienne : le secteur industriel et manufacturier, principale source d’emplois dans toutes les économies en développement prospères, reste totalement atrophié dans le pays. Malgré des performances notables dans les services et dans des industries de pointe, comme la production de vaccins et de médicaments ou le numérique, l’agriculture continue d’être le plus gros réservoir d’emplois, souvent sous-payés, un amortisseur pour les familles dans cette économie majoritairement informelle. La part de travailleurs y est complètement disproportionnée au regard de sa contribution à la richesse, puisque l’agriculture emploie 44 % de la population active mais représente 15 % du produit intérieur brut (PIB).
Parmi tous les pays du G20, l’Inde affiche le plus faible revenu par habitant (2 085 dollars, soit 1 947 euros), compte le plus grand nombre de personnes pauvres vivant de rations alimentaires (800 millions de personnes), et se classe 107e sur 123 pays dans l’indice de la faim dans le monde. Le PIB par habitant est cinq fois moins élevé qu’en Chine, dix-huit fois moins qu’au Royaume-Uni. « Même le calcul par habitant n’est pas suffisant car il ne prend pas en compte les inégalités », indique Reetika Khera, économiste du développement, professeure à l’Indian Institute of Technology de New Delhi.
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