Le FBI enquête sur l’empoisonnement d’une militante russe à Prague

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LETTRE DE WASHINGTON

La porte de sa chambre était ouverte. Natalia Arno eut un bref moment d’hésitation. Une femme de ménage de cet hôtel pragois avait-elle été distraite ? En ce 2 mai 2023, la présidente de la fondation Free Russia, organisation engagée contre la guerre en Ukraine et en faveur des droits humains en Russie, venait de passer la journée à discuter stratégie et financement dans la capitale tchèque. Elle décida d’entrer. Personne. Elle examina sa valise, les vêtements accrochés sur les cintres. Rien, pas d’indices de vol, ni de micro dissimulé. Rien, si ce n’est une odeur sucrée, comme un parfum bon marché.

Cette nuit-là, Natalia Arno, 47 ans, se coucha tard, vers 2 heures. Une intense douleur à la mâchoire la réveilla au petit jour. Elle sentit aussi une forme d’engourdissement aux extrémités de ses membres. Sa vision était brouillée. Elle mit cela sur le compte d’une rage de dents féroce. La militante renonça à un déplacement à Berlin et retourna aux Etats-Unis. Sa principale préoccupation consistait à savoir si sa nouvelle couverture médicale s’appliquerait bien. Malgré son expérience de l’appareil répressif russe, elle ne pensait pas être victime d’une tentative d’empoisonnement, comme les anciens agents Alexandre Litvinenko et Sergueï Skripal, ou plusieurs opposants russes. A tort.

A bord de l’avion, les symptômes s’intensifièrent. La douleur se diffusait d’une extrémité à l’autre de son corps. Les yeux, les oreilles, la poitrine, les bras, l’estomac. « J’avais l’impression que tous mes organes étaient touchés », se souvient-elle aujourd’hui, attablée dans un café de Washington. A son arrivée aux Etats-Unis, Natalia Arno fut admise aux urgences. Le président du directoire de son organisation − l’ancien secrétaire d’Etat adjoint (2008-2009) David Kramer − alerta la police fédérale.

Neuropathie

L’empoisonnement s’imposait comme une piste privilégiée. Des agents du FBI se rendirent dans sa chambre pour effectuer des prélèvements sanguins et examiner ses affaires personnelles. La piste du Novitchok fut écartée. Cet agent neurotoxique avait été employé contre l’opposant Alexeï Navalny et le vice-président de la fondation, Vladimir Kara-Mourza, tous deux emprisonnés en Russie. Les experts excluèrent aussi les maladies naturelles envisageables, comme l’hépatite. Il fut impossible d’identifier le produit utilisé, même si l’une des hypothèses reste la militarisation de toxines marines.

Aujourd’hui encore, Natalia Arno souffre de neuropathie (atteintes aux nerfs). « Les médecins m’ont recommandé plus d’exercices et moins de stress. Les exercices, OK, mais le stress, je ne peux rien promettre. » La militante est fermement engagée contre le régime russe et ne compte pas renoncer. Avec le recul, elle pense avoir été attaquée une première fois en 2021, à Vilnius. C’était son premier voyage à l’étranger post-pandémie. Elle retrouvait d’autres exilés russes dans la capitale lituanienne. Dans sa chambre d’hôtel, déjà, cette odeur sucrée. Le soir, une sorte de brûlure cutanée fulgurante. « Cela allait d’une partie de mon corps à l’autre, comme si ma peau était en train de bouillir. »

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