A deux reprises en une semaine, l’Allemagne a pris de court ses partenaires européens. Le 7 mars, son ministre des transports, Volker Wissing, a fait savoir qu’il ne voterait pas en l’état une proposition législative interdisant les véhicules neufs à moteur thermique à partir de 2035, alors qu’un accord avait été trouvé entre les Vingt-Sept et Bruxelles après de longues négociations. Le 14 mars, son collègue chargé des finances, Christian Lindner, a exigé la modification d’un texte sur la prochaine réforme du pacte de stabilité et de croissance, qui limite le déficit et la dette publics à respectivement 3 % et 60 % du produit intérieur brut. Là aussi, la volte-face allemande a d’autant plus surpris que le texte avait été calé en amont et que Berlin n’avait rien trouvé à y redire.
MM. Lindner et Wissing sont membres du Parti libéral-démocrate (FDP) – le premier en est même le président –, et cela a son importance. Partenaires des sociaux-démocrates (SPD) et des Verts au sein de la coalition « feu tricolore » du chancelier Olaf Scholz (SPD), les libéraux tirent peu de bénéfices de leur participation au gouvernement fédéral. Depuis qu’ils y sont entrés, en décembre 2021, ils ont essuyé de lourds revers à toutes les élections intermédiaires. Le fait que leurs ministres se distinguent à Bruxelles en se faisant les chantres de l’automobile et de l’orthodoxie budgétaire – deux thèmes chers aux électeurs du FDP – n’est sans doute pas étranger aux difficultés que traverse leur parti. Mais leur comportement écorne l’image de l’Allemagne, confortant les critiques, de plus en plus nombreuses dans l’Union européenne, à l’encontre d’un pays dont la ligne politique est peu lisible et dont les positions semblent varier au gré des chicayas qui secouent sa fragile coalition.
Que celle-ci soit difficile à manœuvrer n’est pas étonnant. Inédit par sa composition tripartite, le gouvernement allemand est d’autant plus sensible aux à-coups que l’invasion de l’Ukraine par la Russie, en février 2022, a largement rendu caduc le « contrat de coalition » signé deux mois et demi plus tôt par le SPD, les Verts et le FDP. Cette guerre met à rude épreuve l’alliance formée par ces trois partis, confrontés à leurs contradictions sur des sujets aussi fondamentaux que les livraisons d’armes, l’avenir des centrales nucléaires ou la lutte contre l’inflation.
En eux-mêmes, les débats qui agitent la majorité dirigée par Olaf Scholz ne sont pas malsains. Ils sont le signe d’une vitalité démocratique et parlementaire dont d’autres pays devraient être envieux, à commencer par la France. Mais gouverner, c’est aussi trancher. Et, quand les décisions sont prises, s’y tenir.
Sur ce point, le successeur d’Angela Merkel doit encore faire ses preuves. Chancelier peu loquace à la tête d’une coalition bruyante, il peine à donner un cap clair à sa politique et se laisse régulièrement déborder par ses ministres dont il n’est pas toujours facile de savoir s’ils parlent au nom de leur parti ou de leur pays. Ses fréquentes divergences avec sa ministre des affaires étrangères, Annalena Baerbock (Verts), sèment la confusion chez leurs interlocuteurs étrangers. « L’Europe est pour nous en Allemagne la question nationale la plus importante », assurait Olaf Scholz, le 5 mars, à l’issue d’un séminaire gouvernemental au château de Meseberg, près de Berlin, destiné à mettre de l’huile dans les rouages de son équipe. A lui, désormais, d’en donner la preuve à ses partenaires européens.