Le captagon dope le narco-Etat syrien

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Vendredi 19 mai, à Riyad, le 32e sommet de la Ligue arabe s’est ouvert en présence du président syrien Bachar Al-Assad. Damas en avait été exclu en 2011, à la suite de la répression meurtrière du soulèvement populaire. La guerre civile, qui se poursuit encore dans le nord-ouest du pays, dans la province d’Idlib, a fait au moins un demi-million de morts, ainsi que des millions de réfugiés et de déplacés syriens.

La fin de cet isolement sur la scène arabe constitue un succès diplomatique majeur pour le président Bachar Al-Assad. Mais l’une des conditions posées à sa réintégration est l’arrêt du trafic de captagon, cette drogue de synthèse prisée par la jeunesse du Golfe et dont la production a explosé à la faveur de la guerre en Syrie.

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Depuis la reconquête du territoire par le régime, appuyée par l’aviation russe et des supplétifs chiites (iraniens, libanais, irakiens et afghans), ce juteux trafic est détenu par le clan Assad. Estimé à plusieurs milliards de dollars, il est désormais considéré comme un mécanisme-clé du financement du régime de Damas. Et contribue à sa consolidation dans un contexte économique sinistré par plus de dix ans de guerre et frappé par les sanctions internationales.

Fin 2022, Washington a promulgué le Captagon Act, qui vise à lutter contre la prolifération, le trafic et le stockage de stupéfiants par le régime Assad. De premières sanctions ont été adoptées à l’encontre, notamment, de Bachar Al-Assad, de son frère Maher et de deux de leurs cousins.

Pour les Etats de la région – les pétromonarchies vers lesquelles le captagon est acheminé, mais aussi les pays de transit, tels que la Jordanie et, plus récemment, l’Irak –, le narcotrafic syrien est devenu une source d’insécurité majeure. Pour Damas, il représente aussi un moyen de pression pour obtenir l’afflux d’investissements des riches pays du Golfe.

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1961-1986. Du médicament au stupéfiant


A l’origine, Captagon est la marque d’un médicament à base de
fénétylline, une drogue de synthèse de la famille des amphétamines. A partir de 1961, il est
produit par une compagnie pharmaceutique de Francfort (  ) et délivré sur ordonnance, sous forme de
comprimés, pour traiter les troubles d’hyperactivité, la narcolepsie et la dépression. En
raison du risque d’addiction, la fénétylline a été classée comme stupéfiant par l’Office des
Nations unies contre la drogue et le crime en 1986, et le Captagon décommercialisé. Le
captagon de contrebande prolifère, avec des substances différentes mais des effets
euphorisants similaires.

1987-2007. Les débuts du trafic

2007-2011. Relocalisation au Proche-Orient


Au début des années 2000, la Bulgarie entre dans l’Union
européenne et la filière balkanique est démantelée. La production se délocalise au
Proche-Orient. Au Liban, le trafic du captagon est contrôlé par le Hezbollah, qui garde aussi
la main sur le haschich produit dans la plaine de la Bekaa (  ). La milice chiite développe des
unités de production de captagon mobiles, stratégiquement situées à proximité de la côte et de
la frontière syro-libanaise, et profite de ses liens avec les pouvoirs iranien et syrien pour
étendre ces activités lucratives.

2011-2018. La guerre civile syrienne

2018-2022. Le narco-Etat


L’année 2018 marque un tournant. Le clan Assad, qui a repris le
contrôle de la majorité du territoire (  ), domine le trafic de captagon. La 4e
division
de l’armée, dirigée par Maher Al-Assad, frère du président, supervise des laboratoires
 ) et
contrôle les routes du trafic ainsi que le port de Lattaquié. Dans une économie exsangue,
gangrenée par la corruption et frappée par les sanctions internationales, le captagon devient
la première source de devises du régime. Alors que le PIB syrien s’effondre, passant de 67
milliards de dollars (61 milliards d’euros) avant le conflit à 17 milliards en 2020, les 173
millions de comprimés qui ont été saisis cette année-là, en provenance de Syrie, représentent
une somme de 3,5 milliards de dollars.

2023. Le chantage pour la normalisation


Le captagon syrien est désormais diffusé depuis les ports
libanais et syriens   ) ou les déserts jordanien et irakien (  ). Les saisies se multiplient dans les
ports italiens, grecs, mais aussi jusqu’en Asie. Le captagon est au cœur des négociations au
sein de la Ligue arabe (  ). S’il veut normaliser ses relations avec les pays arabes, Damas doit
éradiquer le trafic. La Jordanie, pays de transit, confrontée à une hausse de la consommation
de cette drogue, a lancé plusieurs raids contre des trafiquants sur sa frontière avec la
Syrie. Le 8 mai, deux frappes ont visé un laboratoire et un baron du narcotrafic syrien,
Marai Al-Ramthan, près de Deraa. Les Etats du Golfe veulent conditionner leurs investissements
dans la reconstruction syrienne à l’arrêt de ce trafic. Selon Reuters, Riyad aurait offert
4 milliards de dollars au régime syrien pour qu’il renonce à ce juteux marché.

Sources : L. Laniel, , « Captagon : déconstruction d’un
mythe », OFDT, 2017 ;
T. Alhajj, « The Al-Assad Regime’s Captagon Trade », Carnegie Endowment for International
Peace, 2022 ;
COAR Global, « The Syrian Economy at War. Captagon, Hashish and the Syrian Narco-State »,
2021 ; New
Lines Institute, « The Captagon Threat », 2022 ; AFP, Reuters, Le Monde

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