Arrêté en septembre 2017, Kem Sokha était accusé d’avoir voulu renverser le gouvernement cambodgien de Hun Sen, premier ministre au pouvoir depuis des décennies. Plus de cinq ans plus tard, le verdict est tombé. Le chef de l’opposition, âgé de 69 ans, a été condamné, vendredi 3 mars, à 27 ans de prison « pour collusion avec des étrangers au Cambodge et ailleurs », a déclaré le juge Koy Sao au tribunal de Phnom Penh.
Après le verdict, Kem Sokha a été immédiatement conduit de la salle d’audience à son domicile, où il sera assigné à résidence et où il lui sera interdit de rencontrer quiconque, à l’exception des membres de sa famille. Il dispose d’un mois pour faire appel de la condamnation et de la peine d’emprisonnement, a déclaré aux journalistes Ang Udom, l’un de ses avocats.
Figure de l’opposition et cofondateur du Parti du salut national du Cambodge (PSNC), aujourd’hui dissous, Kem Sokha a toujours contesté les charges. Le tribunal lui a également retiré le droit de vote et lui a interdit de se présenter à des fonctions politiques, ce qui l’empêche de prétendre au scrutin national du 23 juillet.
Un procès qui a traîné
« Je ne peux pas accepter ce jugement », a déclaré, à l’Agence France-Presse (AFP), Chea Samuon, partisan de Kem Sokha, à l’extérieur de la salle d’audience. « C’est très injuste pour lui et pour le peuple. Il n’est pas coupable, c’est une pression politique ».
Le procès de Kem Sohka a illustré le « problème effrayant du contrôle de l’État sur le système judiciaire dans le pays », a déclaré le directeur exécutif du Centre cambodgien pour les droits de l’homme, Chak Sopheap.
Les Etats-Unis ont rapidement réagi par la voix de leur ambassadeur au Cambodge, présent au tribunal. Le procès de Kem Sokha et sa condamnation sont fondés sur une « conspiration fabriquée » et constituent une « erreur judiciaire », a déclaré W. Patrick Murphy aux journalistes. Le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, qui a rencontré Kem Sokha à Phnom Penh en août, s’était dit « déçu » par le temps qu’a pris la procédure judiciaire « motivée par des raisons politiques ». Le procès de Kem Sokha a traîné, notamment en raison des restrictions liées au coronavirus qui ont provoqué un report des audiences de presque deux ans, jusqu’à la reprise en janvier 2022.
Recul des libertés individuelles
Selon ses détracteurs, Hun Sen – au pouvoir depuis 1985, soit le plus ancien dirigeant d’Asie – a fait reculer les libertés démocratiques, et la condamnation de M. Sokha s’inscrit dans la vague de répression lancée par le régime à l’encontre des voix dissidentes, dont certaines ont dû fuir le royaume de peur d’être arrêtées et poursuivies en justice. L’an dernier, des dizaines d’opposants, certains liés au PSNC, comme son ancien chef Sam Rainsy, qui vit en exil en France depuis 2015, ont été condamnés à des peines de prison au cours de deux procès de masse dénoncés par la communauté internationale.
Le PSNC avait réalisé une percée aux élections de 2013, remportant 55 sièges sur 123, avant d’être dissous quatre ans plus tard par la Cour suprême du pays. Au scrutin qui avait suivi, en 2018, le parti de Hun Sen avait raflé l’intégralité des sièges au Parlement, des résultats vivement contestés.
En l’absence d’opposition visible, le dirigeant cambodgien, ancien combattant khmer rouge entré en dissidence du mouvement, qui a gravi les échelons durant l’occupation du Cambodge par le Vietnam, se dirige à 70 ans vers une nouvelle victoire écrasante aux législatives de juillet.
Testez votre culture générale avec la rédaction du « Monde »
Découvrir
La fermeture jugée arbitraire de l’un des derniers médias indépendants du royaume, Voice of Democracy, mi-février, a ravivé les inquiétudes autour de la tenue d’élections libres et équitables.