L’Argentine retire à Maurice Papon l’Ordre de Mayo, plus haute décoration honorifique

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C’était le premier ministre d’un pays européen à se rendre officiellement en Argentine après le coup d’Etat du 24 mars 1976. L’Argentine le lui a bien rendu : le 4 avril 1979, Maurice Papon, alors ministre français du budget, recevait la grand-croix de l’ordre de Mai du mérite, plus haute décoration honorifique du pays, équivalent de la Légion d’honneur, des mains du dictateur Jorge Rafael Videla. A l’époque, l’ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde pendant l’Occupation allemande, puis préfet de police de Paris et, enfin, ministre de la Ve République, n’avait pas encore été rattrapé par son passé en France – il le sera en 1981.

Jeudi 4 mai, le président argentin, Alberto Fernandez, a signé un décret ôtant le droit « à feu Maurice Papon et à ses proches d’utiliser les insignes de l’ordre de Mai » et demandant que ces derniers les restituent. « Maurice Papon s’est rendu responsable d’actes incompatibles avec l’esprit et le but de l’ordre, a été jugé et condamné [en 1998] pour complicité de crimes contre l’humanité », précise le texte, qui mentionne la déportation de juifs dont il s’est rendu coupable en tant que secrétaire général de la préfecture de Gironde, entre 1942 et 1944.

L’initiative d’une telle décision, qui sera entérinée mardi par le président Fernandez lors d’une cérémonie, revient au scientifique argentin José Eduardo Wesfreid, directeur de recherche émérite au CNRS, exilé en 1976 à Paris, où il réside depuis lors. « En 2020, la France a retiré au tortionnaire argentin Ricardo Cavallo l’ordre du Mérite qu’elle lui avait remis en 1985, alors qu’il se trouvait à Paris en tant qu’attaché de la marine à l’ambassade, explique-t-il au Monde. Cela m’a donné l’idée de demander la réciproque à l’Argentine pour l’Ordre de Mai accordé à Papon, ce que j’ai fait en 2021. »

Lire aussi : La France retire sa décoration à un tortionnaire argentin

La consultation par Le Monde des archives nationales sur la visite du ministre français en Argentine en 1979 en dit long sur les accointances entre le gouvernement de Valéry Giscard d’Estaing et la dictature militaire argentine (1976-1983), qui a fait 30 000 disparus, selon les organisations de défense des droits humains.

Priorité aux affaires

Les documents montrent que cette visite faisait suite à plusieurs missions, l’année précédente, de l’Union des maires pour le développement économique des communes (Unidec), fondée par Maurice Papon, qui en était le président, et Pierre Baudis, maire de Toulouse.

La dernière mission des maires en septembre 1978, à laquelle a participé une membre du cabinet de Papon, Andrée Charrier, « ramène des propositions avantageuses pour nos industriels », notait alors le directeur des Amériques du ministère des affaires étrangères, Philippe Cuvillier, qui avait reçu une délégation de l’Unidec à son retour. Ils auraient aussi évoqué avec le général Roberto Viola, chef d’état-major de l’armée et membre de la junte, le sort de la dizaine de Français faits prisonniers, à l’époque, par les militaires. Le ministre argentin de l’économie, José Martinez de Hoz, aurait été prêt à « donner une part importante du marché argentin aux entreprises françaises », en échange du rétablissement des relations officielles entre les deux pays et de la limitation de la « campagne anti-argentine » en France.

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