Non loin du massif Palais fédéral suisse, austère édifice néoclassique en molasse qui abrite les deux chambres du Parlement helvétique et la plupart des ministères, la délégation de l’Union européenne (UE) à Berne fait flotter côte à côte, comme presque partout ailleurs sur le continent, les drapeaux européen et ukrainien. Le siège du pouvoir suisse ne peut, lui, pas se permettre cette démonstration de soutien manifeste à Kiev, neutralité oblige. La Suisse a certes repris la totalité des sanctions de l’UE contre la Russie, mais cela ne suffit pas encore à clarifier sa position attentiste, de plus en plus inconfortable alors que les pressions se multiplient pour qu’elle choisisse fermement son camp, comme l’ont fait deux ex-pays neutres, la Suède et la Finlande, désormais candidates à l’OTAN.
Mythe constitutif de la Confédération, la neutralité vacille depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie il y a un an. Productrice et exportatrice d’armements, la Suisse interdit en effet aux pays qui lui en ont acheté de les transférer à l’armée ukrainienne pour lui permettre de se défendre. Concrètement, Berne a refusé à deux reprises à la Bundeswehr allemande d’expédier à Kiev 12 400 obus pour des chars antiaériens Gepard. Elle a dit non aussi au Danemark et à l’Espagne. Davantage que de l’incompréhension, elle provoque chez ses voisins européens de l’agacement. Jusqu’où la neutralité peut-elle s’entendre sans devenir une lâcheté, ou pire, une compromission?
Mercredi 1er mars, un sondage Tamedia indique qu’une légère majorité de l’opinion helvétique (50 % contre 46 %) soutiendrait une autorisation exceptionnelle du gouvernement permettant aux armées étrangères en possession de matériel helvétique de le transmettre à l’Ukraine. Sur la neutralité, en revanche, match nul : la moitié de la population estime qu’elle n’est pas négociable, l’autre se déclare favorable à des accommodements.
Au Palais fédéral, le débat qui démarre ne sera sans doute pas tranché pendant la session de printemps, qui se tient jusqu’au 17 mars. « Au rythme habituel de la vie politique de ce pays, la question ne sera jamais réglée avant que la guerre s’arrête, ce qui arrangera bien tout le monde », persifle un observateur. De fait, l’armée allemande a déjà passé commande de nouvelles munitions à la société Rheinmetall sur son propre territoire, pour régler l’ennuyeux obstacle suisse.
Neutralité non négociable
Principal idéologue de l’UDC, le parti souverainiste, nationaliste et europhobe, et la première formation en Suisse, le député et éditeur zurichois Roger Köppel se présente au Monde avec une biographie de Hegel sous le bras. Il revient tout juste de Budapest et d’une longue rencontre avec le premier ministre Viktor Orban, annoncé à la Une de la prochaine édition de l’hebdomadaire politique de la droite dure Weltwoche. Le dirigeant hongrois, dit-il, « pose les bonnes questions sur l’absence d’Europe dans cette crise qui laisse la porte grande ouverte à l’influence américaine ».
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