Adossée au comptoir de sa cantine en bois sur le port de Grande-Rivière, entre les mouettes et la rade, Nathalie Vachon est nimbée de fumée de friture. Elle cuisine du homard, comme dans toutes les guérites qui jalonnent la Gaspésie. Sur cette paisible péninsule de l’est du Québec, le crustacé est le roi des assiettes. Il agrémente la poutine (des frites et du fromage noyés sous une béchamel aux épices) ou s’intercale entre de la salade et de la mayonnaise dans une sorte de hot-dog qu’on appelle la « guédille ».
Touristes et travailleurs en veston fluo se pressent devant les petites baraques, qui vendent ces plats pour 20 à 30 dollars canadiens (de 14 à 20 euros). La saison de la pêche, qui s’est achevée début juillet, a battu de nouveaux records : le nombre de homards capturés dans le golfe du Saint-Laurent explose. « Cet été, nous en avons remonté près de 5 000 tonnes dans le sud de la Gaspésie, c’est 36 % de plus que lors de notre meilleure saison, en 2021 », se félicite O’Neil Cloutier, le directeur général du regroupement local des pêcheurs professionnels.
Ces chiffres s’expliquent en partie par le réchauffement des eaux de surface. Cette conséquence du dérèglement climatique accélère la croissance de l’invertébré à dix pattes et l’encourage à gagner des récifs balayés par des courants moins froids qu’auparavant.
« Ces cinq dernières années, les prises ont triplé dans des zones où la présence du homard était marginale », constate David Drolet, chercheur de l’Institut Maurice-Lamontagne, à Mont-Joli (Québec). Il observe lui aussi que « l’aire de distribution du homard se déplace vers le nord » et que l’on commence à voir le crustacé plus haut qu’il ne l’avait jamais été dans le fleuve. L’augmentation vient également de l’effort des pêcheurs, engagés dans une campagne de réensemencement de la baie pour maintenir un niveau élevé de la ressource.
De la taille d’un pépin de pomme
Du haut de petites falaises hérissées de sapins, des cascades d’eau douce se déversent dans la mer et éclaboussent des phoques allongés au soleil. A quelques encablures, le bateau de Travis Henry fend l’écume avec sa cargaison de crustacés. « Le homard alimente notre économie, nous devons faire notre part », justifie le capitaine aux yeux bleus en larguant dans les flots de grands disques blancs percés d’alcôves. Dans chacune d’entre elles, de minuscules décapodes de la taille d’un pépin de pomme s’échoueront au fond de l’eau, où ils poursuivront leur croissance entre les coraux et les anémones.
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