LETTRE DE NAPLOUSE
Les « héros » palestiniens meurent jeunes. Ils montent en gloire à la hâte. Leurs faits d’armes sont incertains. Voyez Ibrahim Al-Nabulsi, tué à 18 ans, en août. Ses funérailles ont rassemblé des milliers de personnes à Naplouse, ville bourgeoise du nord de la Cisjordanie. Il avait tiré sur un officier et sur des colons israéliens, sans tuer. Il avait échappé à deux raids de l’armée. Il était réapparu sur TikTok, le réseau de partage de vidéos chinois. Il ne se réclamait d’aucun parti, mais de toutes les brigades. Son « martyre » a puissamment résonné dans les territoires, où une jeunesse sans perspectives renoue avec la lutte armée.
Garçon pâle au long visage, élancé et pieux comme sa mère, Ibrahim Al-Nabulsi a grandi sur une colline, dans la maison familiale vieille d’un bon siècle. Il est nageur, calme. Son père, Alah, a un rang subalterne de major au sein de la sécurité préventive ; ancien prisonnier en Israël, il a rejoint dès 1994 cette force, qui est censée réprimer l’opposition aux accords de paix d’Oslo. « J’ai cru à quelque chose de grand : un Etat, la paix qu’Israël n’a jamais voulu nous donner, dit aujourd’hui Alah. La génération de mon fils est en colère contre nous et sa résistance est légitime. »
Collégien, Ibrahim caillasse des soldats au sud de Naplouse. Il court derrière son aîné de quatre ans, Adham Mabrouka. Il admire ce costaud, surnommé « le Tchétchène », roux et rigolard, du genre à glisser un pétard claque-doigt dans la cigarette d’un camarade. Adham est le premier à atterrir dans une prison israélienne, puis dans une prison palestinienne. Il est accusé d’avoir stocké des explosifs avec un deuxième copain, Mohammed Al-Dakhil, et d’avoir tiré sur des policiers palestiniens.
Ibrahim rejoint ses deux amis en cellule à 15 ans, au printemps 2019. « Il était recherché par Israël. La sécurité préventive palestinienne les a gardés pendant six mois “pour les protéger” », raconte son père. Ils confient à leurs copains qu’ils ont subi des tortures. La mère d’Ibrahim, Houda, le trouve « plus agressif » à sa sortie. « Il voulait se venger d’Israël.
Ibrahim n’a pas encore 16 ans et lui échappe. Il plonge dans la clandestinité. « Je l’embrassais quand je le croisais dans la vieille ville », dit-elle. Sur une étagère du salon, une photo les montre ensemble, assis sur un pas-de-porte ensoleillé. Alah a passé un bras sur l’épaule de son fils. Ibrahim a posé sur ses genoux le fusil d’assaut M16, qui ne le quitte plus.
« C’était un gamin »
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