C’était une nuit en juillet, ils étaient trois ou quatre démineurs et autant d’éclaireurs ukrainiens à se faufiler à pied – et plus souvent encore en rampant – vers le village de Piatykhatky, occupé par les Russes, dans la région de Zaporijia, dans le sud du pays. Ils étaient arrivés si près du poste de garde qu’ils entendaient les sentinelles discuter entre elles. A l’aube, un couloir avait été déminé vers les positions ennemies : les troupes ukrainiennes avaient pu s’y engouffrer et reprendre la petite bourgade détruite, une maison après l’autre. « Les Russes s’attendaient à voir arriver du matériel lourd, des blindés, des grosses formations. Cette opération légère les a pris par surprise. A vrai dire, nous ne l’avions pas planifiée non plus : on a saisi l’aubaine », se souvient Bogdan, 48 ans, démineur à la 128e brigade.
Pour l’état-major à Kiev, la percée autour de Piatykhatky, si modeste soit-elle, a été l’une des révélations de la contre-offensive. A l’inverse des pronostics, la plupart des avancées ukrainiennes au sud ont été victorieuses dans les zones où les engins lourds occidentaux – tant convoités par Kiev – n’avaient pas été utilisés. Certains bataillons ont ainsi reçu l’ordre de les remiser dans un premier temps pour privilégier les petites unités, appuyées par des équipes de déminage.
Depuis, la contre-offensive s’est muée en une marche à pas d’homme, douloureuse et lente, au milieu de plaines nues sans rien pour se cacher. Le 29 août, la libération annoncée par l’Ukraine de Robotyne, autre village de la région, constituerait une réelle percée des lignes de défense russes. Principal obstacle à la contre-offensive ukrainienne : les champs de mines.
« Stocks inépuisables »
Le camp, où se sont établis les dix sapeurs de la 128e brigade ukrainienne, ne ressemble pas forcément à l’idée qu’on se fait d’un casernement militaire : une villa cossue, en lisière d’un petit bourg. Depuis le balcon, les positions russes se devinent à l’horizon, au bout d’une de ces plaines immenses et lisses, comme une invitation à lancer l’assaut. C’est un mirage : ces steppes sont, en réalité, les fameuses barrières de mines, profondes de cinq à quinze kilomètres, qui ceinturent les lignes de défense russes et freinent les blindés ukrainiens.
« Au départ, on ne s’attendait pas à une telle densité d’explosifs sur une si grande surface, on n’avait jamais vu ça, c’était presque inconcevable en termes de matériel. Mais Moscou dispose de stocks inépuisables, datant à 90 % de l’Union soviétique. Ils les sèment comme du blé, sans compter », explique Maksim, 48 ans, militaire de carrière et chef des sapeurs à la 128e brigade.
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