En Turquie, l’ombre d’une féministe assassinée plane sur l’alliance gouvernementale

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LETTRE D’ISTANBUL

Konca Kuris a été l’une des femmes qui a vécu au plus près de l’un des épisodes les plus dramatiques et sanglants de la « sale guerre » qui embrasa les régions kurdes de Turquie dans les années 1990, caractérisée par l’emploi d’escadrons de la mort, les assassinats extrajudiciaires et les disparitions.

Elle était une auteure et une militante islamiste connue pour ses vues féministes. Elle avait osé défier les enseignements islamiques orthodoxes sur les femmes et insisté sur le fait que les droits des femmes avaient une place dans l’islam. Elle-même était voilée, mais elle s’est battue pour que les femmes musulmanes puissent avoir le choix de porter le foulard ou non. Rien dans le Coran, répétait-elle, ne les y obligeait. Konca Kuris en est morte.

Enlevée en juillet 1998 par des membres du Hezbollah turc, un groupe islamiste radical kurde né dans le Sud-Est anatolien, son corps a été découvert un an et demi plus tard sous une dalle de béton d’une maison de Konya. L’opération de police, à l’époque, avait permis de retrouver plusieurs dizaines d’autres cadavres ensevelis aux quatre coins du pays. Des cassettes vidéo, récupérées par les enquêteurs, révélèrent que Konca Kuris avait résisté pendant trente-cinq jours aux pressions et aux supplices de ses ravisseurs avant d’être exécutée. Un boyau de porc aurait été utilisé pour l’étrangler.

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Nicole Pope, notre correspondante au moment des faits écrira : « Plusieurs des victimes étaient des hommes d’affaires islamistes, kurdes pour la plupart, kidnappés au cours des mois écoulés. Des membres d’organisations rivales, des anciens [du] Hezbollah qui avaient tenté de quitter le mouvement ou des musulmans qui ne partageaient pas l’interprétation brutale de l’islam prônée par l’organisation figurent également parmi les victimes. » Et puis ceci : « L’ampleur de cette organisation extrémiste mal connue du grand public et la brutalité de ses méthodes ont choqué le pays. »

Une spirale d’horreur et de sang

Un quart de siècle plus tard, le nom de Konca Kuris est réapparu. C’était il y a quelques semaines. Lorsque la formation du président Recep Tayyip Erdogan, le Parti de la justice et du développement (AKP), annonça sa décision de faire alliance avec le Hüda Par (« parti de Dieu ») aux élections du 14 mai. Cette formation (0,3 % aux élections de 2018) est considérée comme une continuation politique du Hezbollah, une sorte de vitrine légale. Ses dirigeants, eux, réfutent tout lien avec l’organisation. Deux d’entre eux, dont le vice-président, étaient pourtant en délégation officielle à Wiesbaden (Allemagne), fin avril, dans une mosquée connue pour avoir organisé, plusieurs années de suites, des commémorations en l’honneur du responsable du mouvement, Huseyin Velioglu, abattu par la police en janvier 2000, peu avant les découvertes macabres.

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