LETTRE D’ERZIN
Il n’a jamais été facile de faire changer d’avis et encore moins de faire taire Ökkes Elmasoğlu. Cela, les administrés de sa petite ville d’Erzin, cité paisible de 42 000 habitants nichée entre les hautes montagnes de la province du Hatay et le bleu de la mer Méditerranée, ont pu le constater tout le long de sa mandature de maire. Jour après jour, il s’est opposé inlassablement aux passe-droits des uns et aux petits arrangements des autres, malgré les pressions et tentatives d’intimidation.
Depuis son élection en mars 2019, sous la bannière du Parti républicain du peuple, le CHP, la principale formation d’opposition de Turquie, Ökkes Elmasoğlu, le jeune maire courage juste quadragénaire, s’en est tenu à la stricte légalité dans le domaine du bâti, a refusé les travaux d’agrandissement non contrôlés, l’élévation hasardeuse des habitations, les projets non sécurisés. Il n’a pas cillé, mais il s’est mis à dos une grande partie de ses électeurs. Même une requête d’un membre de sa propre famille, on murmure ici qu’il s’agit de son père, ne l’a pas fait plier. C’est dire.
Aucune victime ni blessé
Et puis survint, le 6 février, le terrible tremblement de terre qui a touché toute la région, du Hatay jusqu’à Diyarbakir, et dont le bilan humain n’a cessé d’augmenter depuis. Plus de 50 000 morts en Turquie et en Syrie, selon les derniers chiffres. Un million et demi de personnes sans abri. Et près de la moitié des 3,4 millions de bâtiments de la zone susceptibles d’être démolis ou rasés, d’après l’Union turque des chambres d’ingénieurs et d’architectes.
A Erzin, les choses se sont passées autrement. Située à une heure et demie de route au nord d’Antakya, une des villes les plus ravagées par le séisme, et à moins de 80 kilomètres à vol d’oiseau de l’épicentre à Kahramanmaraş, plus à l’est, la petite cité sans histoire a bien été violemment secouée, mais elle n’a enregistré aucune victime ni blessé. Aucune habitation ne s’est effondrée. Des maisons ont été endommagées, parfois même sérieusement, et le vieux minaret historique de la mosquée du centre-ville s’est brisé net, mais Erzin, elle, est restée debout, à l’étonnement général.
Lorsque les médias se sont intéressés à cet étrange îlot perdu dans un océan de destruction et de désolation, Ökkes Elmasoğlu a raconté son histoire avec ses mots à lui, succincts et d’une simplicité désarmante. Aux micros de Fox TV et de la chaîne locale TV5 ou encore au quotidien Hürriyet, il a dit et répété qu’il n’avait rien d’un héros. Qu’il n’a fait qu’appliquer et respecter la loi, comme ses prédécesseurs. Que dans sa ville, la majorité des habitations sont soit individuelles, soit à trois-quatre étages, avec un bâtiment, le plus haut, à six niveaux. Et qu’il n’avait jamais autorisé de construction illégale.
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