En Tunisie, le président Kaïs Saïed qualifie de « mensonges » les critiques sur sa politique liberticide

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Le président Kaïs Saïed a accusé « certaines chaînes étrangères » de « travailler pour des entités qui veulent renverser l’Etat tunisien », mardi 2 mai, lors d’une visite nocturne de la librairie Al Kitab, institution du centre-ville de Tunis. « Celui qui met en doute les libertés [en Tunisie], à l’intérieur comme à l’extérieur, est soit un agent, soit il vit dans un coma intellectuel profond dont il ne se réveillera jamais », a-t-il asséné.

Kaïs Saïed en a profité pour consulter l’ouvrage Le Frankenstein tunisien, de Kamel Riahi, au cœur d’une polémique après son retrait de la Foire internationale du livre de Tunis, le 28 avril, peu de temps après son inauguration par le chef de l’Etat. Cet essai politique récemment paru – dont la couverture est illustrée d’une caricature de Kaïs Saïed en monstre – propose une analogie entre le président tunisien, qui s’est arrogé les pleins pouvoirs lors d’un « coup de force » en juillet 2021, et la créature du docteur Frankenstein imaginée par Mary Shelley dans son célèbre roman.

Le président a catégoriquement nié toute tentative de censure, affirmant qu’un tel soupçon relevait « de mensonges et de calomnies ». Le peuple tunisien, a-t-il ajouté, n’est « pas dupe » ni « sous la tutelle » de ceux qui se rendent coupables, à ses yeux, de « terrorisme intellectuel ». « Ils disent que ce livre a été interdit et pourtant il est vendu à la librairie Al Kitab à Tunis. Ce sont des mensonges », a-t-il déclaré.

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Le 28 avril, des agents de sécurité avaient ordonné la fermeture du stand de l’éditeur Dar Al Kitab et saisi les exemplaires du Frankestein tunisien, prétextant l’absence de ce titre sur la liste présentée par la maison d’édition à la direction de la foire. Le lendemain, un autre ouvrage portant sur le président, Kaïs Ier, président d’un bateau ivre, de Nizar Bahloul, avait lui aussi été retiré du stand de sa maison d’édition. Devant la polémique qui enflait sur les réseaux sociaux, les autorités ont ensuite rétropédalé en permettant au stand fermé de rouvrir et en autorisant de nouveau la vente de l’ouvrage de M. Bahloul.

Plusieurs journalistes poursuivis

Cet incident et les déclarations présidentielles contre les médias interviennent dans un contexte de restrictions accrues des libertés individuelles. La Tunisie a chuté à la 121e place sur 180 du classement mondial de la liberté de la presse publié par Reporters sans frontières (RSF), mercredi 3 mai, à l’occasion de la journée mondiale de la presse. Depuis le « coup de force » de Kaïs Saïed, le pays a perdu 49 places. « Après avoir gelé puis dissous le Parlement en 2021, le chef de l’Etat remet en cause les acquis de la liberté de la presse », dénonce l’ONG dans son rapport annuel.

Ces derniers mois, plusieurs journalistes, avocats, opposants politiques ou citoyens ont été poursuivis pour des publications ou des déclarations. Certains sont emprisonnés et accusés de complot contre la sûreté de l’Etat et risquent la peine capitale. Répondant à ses détracteurs, Kaïs Saïed assure qu’aucun journaliste n’a été poursuivi pour « ses opinions ». Il assure pourtant que « la liberté de pensée est plus importante qu’une prétendue liberté d’expression », sans apporter plus de précisions. Pour lui, ceux qui s’inquiètent de menaces sur les libertés ne font que colporter des « mensonges ». « La liberté est protégée par le peuple », dit-il.

Au moins trois journalistes ont été accusés de « diffusion de fausses informations » sur la base du décret-loi 2022-54. Promulgué par Kaïs Saïed en septembre 2022, il punit de cinq ans de prison et de 50 000 dinars d’amende (environ 14 900 euros) toute personne qui « utilise délibérément les réseaux de communication et les systèmes d’information pour produire, promouvoir, publier ou envoyer des fausses informations ou des rumeurs mensongères ». La peine encourue va jusqu’à dix ans de prison en cas de diffamation à l’encontre d’un fonctionnaire de l’Etat. « Avec ce nouveau décret-loi, c’est la liberté de la presse, un des plus importants acquis de la révolution démocratique, qui est désormais attaquée », déplore RSF.

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