Il ne reste plus rien des plants de manioc, de haricot et de patate douce de Niampaka Kahundahunda. La parcelle, comme une bonne partie du village de Bushushu, située sur la rive occidentale du lac Kivu dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), a été dévastée par les inondations. Jeudi 4 mai, l’agriculteur de 48 ans buvait un verre dans une gargote avec quelques amis quand les torrents de boue ont déferlé. 438 personnes ont été ensevelies selon les autorités – un bilan encore provisoire – et plusieurs milliers de personnes sont toujours portées disparues.
Comme Niampaka Kahundahunda, plus de 100 000 rescapés ont fui les localités touchées, d’après un rapport d’OCHA, le bureau des affaires humanitaires de l’ONU, publié le lendemain de la catastrophe naturelle. Le père de famille au corps noueux s’est d’abord replié dans les montagnes, à proximité de son lopin de terre. « Là-bas, il y avait encore des éboulements, alors j’ai cherché à fuir vers un lieu plus sûr », raconte-t-il les yeux cernés.
Six jours après le désastre, il a enfin trouvé refuge chez la mère de sa femme, à Ihusi dans le territoire de Kalehe, avec son épouse et son fils, le seul survivant d’une fratrie de huit enfants. La belle-famille de l’agriculteur vit aussi de la terre, mais la récolte suffit à peine pour nourrir trois bouches supplémentaires. « Notre plus grande difficulté actuellement, c’est la faim », déplore-t-il.
« A cette heure, il est difficile de faire le bilan du nombre d’hectares ravagés, constate Archimède Karhebwa, administrateur adjoint du territoire. Mais ce qui est sûr c’est qu’on ne pourra pas y cultiver de sitôt. Le sable et les pierres perturbent la fertilité des sols ». Un entrepôt de semences stockées pour les prochaines récoltes a également été détruit dans les inondations.
Les prix ont explosé
Rien n’a stoppé les trois coulées de pluies, de roches et de cailloux qui ont emporté habitations et cultures dans la province de Kalehe. Les forêts qui couvraient auparavant les flancs des montagnes des vallées des bords du lac Kivu ont disparu. Dans cette région agropastorale densément peuplée, la pression sur le sol est forte. « Pour les besoins de l’agriculture ou de l’élevage, la zone a été déboisée sans reboisement. Même quand les plantules sont distribuées gratuitement, elles ne sont que rarement replantées », déplore Chance Muhindo Kafunga, coordinateur local de l’ONG congolaise Environnement sans frontière.
A Bushushu, quelques tomates ou ballots de farine de manioc se vendent encore sur les étals du marché. Mais les prix des produits de première nécessité ont explosé : environ 30 % d’augmentation, selon un rapport de l’antenne locale de Caritas, une confédération d’ONG liées à l’Eglise catholique.
« Il ne reste presque plus de charbon [indispensable à la cuisine dans la région]. Les seuls sacs restants sont vendus à 30 dollars [quelque 27 euros] au lieu de 15 ou 20 dollars », déplore une vendeuse qui n’a pas donné son nom devant un stand de poisson presque vide. La pêche a été temporairement interdite par les autorités locales, le temps pour les secouristes de récupérer les corps noyés dans le lac.
A quelques kilomètres, le marché de Nyamukubi, un autre village touché par les inondations, a été intégralement englouti. « C’était pourtant le deuxième le plus important du territoire, précise Archimède Karhebwa. Les gens venaient de partout pour acheter ou vendre leur marchandise. »
Les sources d’eau potable endommagées
Simon Lwahissa, qui y travaillait, n’a pas pu sauver ses stocks. Debout devant ce qu’il reste de sa maison – un amas de bois haché –, il n’a pas la force d’aller jusqu’au port de Nyamukubi où un riche homme d’affaires a envoyé des vivres pour les rescapés. Le commerçant n’a pourtant ni à manger ni à boire depuis que les sources d’eau potable ont été endommagées par la catastrophe. L’assistance du gouvernement, des donateurs privés ou des ONG, qui par endroits a provoqué bagarres et mouvements de foule, arrive au compte-gouttes et en ordre dispersé.
« J’attends juste que les autorités nous trouvent des solutions. Toutes nos infrastructures ont été perdues : l’école, le centre de santé, l’église. Nous n’avons même plus d’électricité depuis que les microbarrages hydroélectriques ont été détruits », égrène Simon Lwahissa. La reprise de son activité commerciale n’est pas à l’ordre du jour, d’autant que la route nationale 2, qui relie Bukavu et Goma, les deux principales villes de l’est de la RDC, est coupée. Même à moto, le passage est par endroits impossible tant les roches, apportées par les pluies diluviennes, obstruent la voie.
Kalehe était pourtant l’un des greniers de la région. La zone, qui hier fournissait une partie des provinces du Nord et du Sud-Kivu en produits maraîchers et en charbon, est aujourd’hui isolée et difficile à approvisionner. Les pluies ont démoli le pont de Luzira, la seule route qui reliait le territoire au reste de la province du Sud-Kivu.
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Devant la passerelle en ruine, les manutentionnaires déchargent leur marchandise. Certains empruntent le ponton en bois branlant reconstruit à la hâte par les locaux. D’autres passent directement par la rivière, cartons sur la tête. En face, un autre camion, l’un des rares de la zone, attend pour ravitailler le territoire sinistré.