Au moins 86 personnes sont mortes dans le naufrage d’une embarcation de migrants survenu aux large des côtes italiennes le 26 février, selon un nouveau bilan encore provisoire annoncé mercredi 15 mars par le maire de la commune.
« Ce matin, cinq autres corps ont été retrouvés, deux hommes, une femme et deux enfants âgés d’environ trois et huit, neuf ans », portant le total à 86 morts, a déclaré le maire de Cutro, Antonio Ceraso, lors d’une visio-conférence avec l’association de la presse étrangère à Rome. En outre, « quatorze ou quinze personnes au moins manquent encore à l’appel, même si nous espérons que quelqu’un ait pu survivre et faire immédiatement perdre ses traces du lieu du naufrage », a ajouté M. Ceraso, précisant que les recherches d’éventuels autres corps se poursuivaient.
Le 26 février à l’aube, une embarcation provenant de Turquie avec environ 175 personnes à bord a fait naufrage à quelques dizaines de mètres des côtes de Cutro, en Calabre, la région pauvre formant la pointe de la Botte italienne.
Les autorités maritimes, et en particulier les garde-côtes, sont soupçonnés de n’avoir pas réagi assez vite aux informations faisant état de la présence d’un navire surchargé dans la zone et la justice a ouvert une enquête sur les circonstances de ce drame.
« Mais comment est-il possible que des choses pareilles aient encore lieu de nos jours », s’est interrogé le maire de Cutro. « Ces personnes partent par désespoir, cela veut dire que là où elles se trouvent, elles vivent une tragédie encore plus grande, des viols, des violences », a souligné M. Ceraso, appelant « à trouver une solution pour éviter ces tragédies ».
Un climat « très inquiétant »
Dans le milieu des experts des secours des migrants tout comme chez les marins, on considère que le récent naufrage de Cutro aurait sans doute pu être évité sans les décrets sécurité adoptés en 2018-2019 sous l’impulsion de Matteo Salvini, le chef de la Ligue (extrême droite), alors ministre de l’intérieur dans le gouvernement de Giuseppe Conte. Dans une logique purement sécuritaire, ces nouveaux textes ont transformé progressivement les opérations de recherche et de secours en mer (SAR) en « événements migratoires ».
Si la mission première des gardes-côtes italiens – sauver des vies en mer – n’a pas changé, elle est progressivement devenue invisible. En 2018, la publication, par le commandement des gardes-côtes, du rapport annuel des sauvetages en mer a été suspendue. En 2019, la terminologie des « forces de l’ordre » est entrée en vigueur pour parler d’opérations menées par la police, remplaçant peu à peu les traditionnelles SAR.
« C’est toute la dynamique du sauvetage qui a changé ces dernières années, explique Vittorio Alessandro. Auparavant, l’hypothèse du danger était systématiquement prise en compte avant d’envoyer un navire de secours ; aujourd’hui, il faut y penser plusieurs fois. » Pour l’amiral, le drame de Cutro démontre l’urgence de redonner aux gardes-côtes une liberté d’action maximum, sans contraintes administratives. « Les gardes-côtes doivent prouver de nouveau la nécessité de leur excellence, poursuit-il. Le secours a toujours été notre pain quotidien. »
Le climat actuel autour de la question migratoire en Italie « est très inquiétant », selon Gianfranco Schiavone, de l’Italian Consortium of solidarity (ICS), une ONG d’aide aux demandeurs d’asile, basée à Trieste, dans le nord-est de l’Italie, pour qui la pression politique sur les opérations de sauvetage maritime n’a jamais été aussi forte. « L’avenir est sombre, car toutes les conditions sont réunies pour que de nouvelles tragédies se répètent », s’inquiète-t-il, alors que les arrivées de migrants se poursuivent dans des conditions difficiles.