Ce samedi 6 mai, je regarde le couronnement du roi Charles III à la télévision – mais seulement parce que ma femme est française et qu’elle pense que l’institution de la monarchie britannique tout entière, avec son faste et ses frasques, est « pittoresque ». Cela fait des années que j’essaie de la détromper, en vain. Je dois toutefois admettre que, n’ayant pas été biberonnée à l’idéologie monarchique depuis la naissance, elle a pleinement le droit de savourer le spectacle pour ce qu’il est : un spectacle.
J’éprouve cependant moins de sympathie pour mes concitoyens britanniques qui, collectivement, semblent incarner une curieuse version de ce que les psychologues appellent la dissonance cognitive. Depuis la mort de la reine Elizabeth II, la popularité de la monarchie ne cesse de chuter – même avant, elle était sur la mauvaise pente. Quelque 45 % des Britanniques souhaiteraient, en effet, l’abolition de la monarchie ; et si une majorité soutient encore l’institution, de récents sondages nous disent que pas même la moitié de la population éprouve un intérêt pour le couronnement.
Or, lors de ce jour J, non seulement la majorité des Britanniques s’agglutinent devant leurs écrans de télévision pour assister à plusieurs heures de processions et de cérémonies diverses, ainsi qu’au couronnement dans l’abbaye de Westminster, mais quantité d’autres participent aux festivités qui se tiennent dans la rue et ailleurs. Et ce, bien que la majorité des personnes interrogées estiment que ce n’est pas au contribuable britannique de payer toute cette mascarade – ce qui est le cas –, mais au nouveau roi, avec sa fortune personnelle, estimée par le quotidien The Guardian à près de 2 milliards de livres sterling [2,2 milliards d’euros].
Une population prisonnière
Depuis quelques semaines, la gauche déploie des efforts concertés pour mettre en question le couronnement – et, partant, la monarchie. The Guardian a ainsi publié une série d’articles sur les origines et la croissance exponentielle de la fortune colossale des Windsor, montrant du doigt ses racines profondes dans le colonialisme, l’esclavage et autres activités douteuses. En réponse, le monarque a tenté la quadrature du cercle : la journée du couronnement se déroulera en grande pompe, certes, mais tout ce faste sera tempéré par le fait que le couronnement sera centré sur les grands principes progressistes contemporains que sont la « diversité » et le « développement durable ».
Plus tard, lorsqu’il faudra déclarer si oui ou non ce couronnement est un succès, qui l’emportera ? Je parie tout sur les monarchistes. Selon le théoricien situationniste français Guy Debord (1931-1994), les phénomènes tels que les grandes manifestations sportives annuelles, avec leur nature cérémonielle, s’inscrivent dans la continuité d’événements tels que les fêtes des moissons et du printemps, sur lesquelles reposait l’éternel cycle dans lequel était autrefois enfermée la paysannerie. Vu sous cet angle, le couronnement n’est pas destiné à ce que la population contribue à « faire l’histoire » – comme ses zélateurs conservateurs le prétendent haut et fort –, mais tout au contraire à la maintenir prisonnière d’une société du spectacle qui sape la démocratie – sans même parler de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.
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