Les murs de l’usine d’embouteillage d’eau ont bien été repeints en blanc, mais l’enduit dissimule mal les graffitis en lettres noires, dont un encore bien visible et écrit en grand : « Danone criminel ». A San Juan Crisostomo Bonilla, dans l’Etat de Puebla, à trois heures de route à l’est de Mexico, ce sont des policiers armés, le visage masqué, qui accueillent le visiteur quand on approche trop près de l’entrée de l’usine. Leur allure a beau être menaçante, ils ne gardent en réalité qu’une « coquille vide » : une usine aujourd’hui à l’arrêt, après avoir été occupée pendant onze mois, en 2021, par les habitants de vingt villages de cette région, pour en fermer le puits.
Entre les bâtiments sont encore rangés des bidons d’eau en plastique orange : une couleur bien connue au Mexique, celle de la marque Bonafont, propriété du groupe alimentaire français Danone, quand ceux de ces concurrents (Coca-Cola, Pepsi, Nestlé) sont de couleur bleue. Dans ce pays de 130 millions d’habitants, les bidons d’eau potable de 20 litres sont présents dans l’immense majorité des habitations en ville et, en particulier, ceux de la marque de Danone (450 millions produits en 2022).
Bonafont est en effet la première entreprise sur le marché de l’eau embouteillée au Mexique, avec 38 % des ventes, suivie par Ciel, filiale de Coca-Cola (25 %), et E-Pura, la marque du groupe PepsiCo (19 %), selon l’économiste Raul Pacheco-Vega. Ce chercheur au Centre de recherche et d’enseignement en économie estime que ces trois multinationales contrôlent ensemble 82 % du secteur dans le pays. Toutefois, les conflits comme celui à San Juan Crisostomo Bonilla pourraient remettre en question les excellents résultats que Danone réalise ici dans le domaine de l’eau – un chiffre d’affaires en hausse de 6 % en Amérique latine pour le premier trimestre 2023.
Pour nous expliquer la bataille qui se joue dans cette localité de Puebla, Fidel Lopez, un agriculteur, tient à nous montrer les bassins d’eau à l’ombre de grands arbres, où des enfants se rafraîchissent bruyamment. « Vous voyez, le niveau est de 1,70 mètre à présent contre 30 centimètres au temps de l’usine de Danone. En moins de deux ans, nos sources d’eau ont récupéré un niveau correct, même si ce n’est pas le niveau d’origine », explique ce paysan de 76 ans, en désignant un talus qui correspondrait aux berges originales.
« Avant, nous avions des arbres fruitiers »
Un peu plus loin, il s’arrête devant les canaux qui serpentent entre les champs de maïs et de haricots. « On a de nouveau du cresson qui pousse au fond de l’eau. C’est une plante qui avait totalement disparu avec la pénurie d’eau et qu’on utilisait beaucoup dans notre régime alimentaire », ajoute cet homme à la peau brune, aux traits caractéristiques du peuple nahua.
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