C’est l’un des sujets qui préoccupent le plus les armées depuis de longs mois, au-delà de tous les autres enjeux capacitaires et opérationnels provoqués par la guerre en Ukraine : le désamour de plus en plus précoce des soldats français pour l’institution militaire. Souvent évoqué à mots comptés, le sujet fait, pour la première fois, l’objet d’un rapport complet du Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM), qui a été discrètement rendu public, vendredi 15 septembre.
Alors que l’évaporation croissante des soldats recrutés par les armées était jusqu’ici surtout un problème identifié pour les militaires du rang au sein de l’armée de terre, le rapport du HCECM, un organisme indépendant dont les membres sont nommés par le président de la République, a fait le choix de se concentrer sur la situation des officiers. Et les perspectives sont préoccupantes, y compris pour les hauts gradés, à en croire les deux cent vingt pages du rapport.
D’après les données qu’a réussi à agréger le HCECM, notamment en étudiant l’itinéraire des promotions d’élèves recrutés par les grandes écoles militaires – Saint-Cyr pour l’armée de terre, l’Ecole navale pour la marine, et l’Ecole de l’air et de l’espace pour l’armée de l’air et de l’espace –, « une érosion lente, mais constante » des vocations est à l’œuvre chez les officiers depuis une dizaine d’années. Seuls les officiers de gendarmerie échappent pour l’instant à ce constat, souligne le document.
« Tête » des armées
Une érosion qui touche de façon nouvelle les jeunes officiers. Jusqu’ici, le pic de départs avait lieu entre douze et seize ans de service, soit à l’aube de la deuxième partie de carrière. Or, quelque 25 % des élèves de la promotion de Saint-Cyr de 1992 ont quitté l’institution cinq ans après leur sortie d’école, constate le HCECM. Une tendance similaire est observée dans les promotions de l’Ecole de l’air et de l’Ecole navale, mais à un « niveau plus faible ».
Certains grades sont plus touchés que d’autres. Les départs de capitaines ont connu une hausse de quelque 44 % entre 2017 et 2022, tandis que, chez les commandants, elle atteint les 62 %. Une augmentation existe aussi chez les colonels, mais elle n’est pas quantifiée. D’une manière générale, les armées sont confrontées à une hausse des départs avant 40 ans : 11 % en 2022, soit + 3 % par rapport à 2020.
Même si les officiers ne représentent que 13 % des effectifs totaux des armées, soit environ 40 000 soldats, ils sont « la tête » de celles-ci, ceux qui sont chargés de commander. Et cette lente évaporation pourrait aller jusqu’à « fragiliser le modèle de ressources humaines », en particulier de l’armée de terre, estime le HCECM. Si rien n’est entrepris, le taux de départ des officiers de l’armée de terre ayant entre dix et quinze ans de service pourrait atteindre 30 % dans les prochaines années : insoutenable, fait savoir le HCECM.
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