Sana est le prénom qu’elle s’est choisi, faute de pouvoir changer de nom de famille pour le moment. En attendant, elle souhaite conserver son anonymat. Sana, donc, ne veut plus rien avoir à faire ni avec sa famille ni avec son passé, mais régulièrement, l’une comme l’autre la rattrapent. Alors qu’elle tente de se reconstruire après près d’une décennie vécue à l’ombre du djihad, elle est aujourd’hui menacée d’expulsion − pour « menace à l’ordre public » selon la préfecture – vers l’Algérie, un pays qu’elle ne connaît pas et où elle n’a jamais mis les pieds.
Sana, que Le Monde a rencontrée, est née dans le nord de la France. Elle a aujourd’hui 24 ans. Selon son récit, à 13 ans, sa mère, radicalisée et violente, l’a voilée de force et retirée de l’école. Elle a aussi refusé de remplir sa demande de nationalité française. A 15 ans, elle l’a emmenée avec ses trois frères – dont le plus jeune avait 3 ans à l’époque – et sa sœur en Syrie, sans lui demander son avis. Une fois sur place, Sana a été mariée de force à un combattant belge de Daech. Elle a eu de lui deux enfants, deux petites filles qui ont aujourd’hui 5 et 7 ans.
A la chute de Baghouz, dernier bastion du pseudo-califat de l’organisation Etat islamique (EI), en mars 2019, Sana se rend aux forces kurdes, qui l’internent dans un camp avec les autres prisonnières étrangères et leurs enfants. Elle y passe près de quatre ans dans des conditions épouvantables d’hygiène et d’insalubrité. Les enfants ne reçoivent pas d’éducation, même si leur mère tente d’égayer leur quotidien par des jeux, le trio vit sous la coupe d’une matriarche toujours fanatisée, d’après elle. Son père est décédé sur zone, tout comme deux bébés que sa mère a mis au monde sur place. Sana ne sait pas ce que son mari est devenu mais ne tient pas à le retrouver.
Interrogée quatre jours par la DGSI
A l’insu de sa mère, Sana demande son rapatriement par l’intermédiaire de son avocate, Mᵉ Marie Dosé. Elle finit par être emmenée par les autorités françaises avec ses deux filles le 24 janvier. A l’atterrissage à Villacoublay (Yvelines), elle est séparée de ses enfants. « Pendant tout notre séjour dans le camp, je les avais préparées à ce moment, raconte-t-elle. Mais, même si je savais ce qui allait se passer, ça m’a brisé le cœur de voir mes deux petites partir dans les bras d’éducatrices. » Pendant ce temps, elle est interrogée quatre jours par la DGSI, le service de police et de renseignement intérieur chargé de la lutte antiterroriste. A l’issue de cette garde à vue, le juge d’instruction antiterroriste décide de la laisser libre et de ne pas la poursuivre.
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