A Derna, les morts et la solitude des survivants

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Amrane Al-Gababaili pleure. Accroupi sur une dalle instable maintenue par des ronds de béton qui pendent à l’air libre, il a le regard fixé sur le gouffre qui s’ouvre devant lui : des tas de gravats, des murs brisés et des briques dispersées dans la boue plusieurs mètres plus bas.

Ni les paroles de réconfort, ni les tentatives des volontaires de l’éloigner, ces derniers espérant lui offrir un peu de répit, ne parviennent à arracher l’homme de sa douleur. Depuis que la tempête a emporté quinze membres de sa famille – ses trois frères, ses belles-sœurs, ses neveux et ses nièces, ensevelis à quelques encablures –, cet agent de la police agricole ne quitte plus les lieux. Même s’il est convaincu que tout espoir est perdu : « Tu sens l’odeur ? Ils sont tous morts. Il n’y a plus rien à faire. C’est fini. »

Le beige de son uniforme se confond avec la poussière environnante. Autour de lui, tout n’est que désolation sur des dizaines de mètres…

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Les sauveteurs « sont repartis… »

A l’exception de quelques immeubles éventrés, qui attendent de s’effondrer, le quartier de Swissi, sur la rive gauche du Wadi Derna, a été oblitéré dans la nuit du dimanche 10 au lundi 11 septembre. « Toute la zone est sous terre », ajoute-t-il en montrant le sol, avant d’énumérer les noms d’habitations aujourd’hui disparues par les patronymes de leurs anciens propriétaires. A-t-il vu passer des équipes de sauveteurs ? « Oui, puis ils sont repartis… », évoque-t-il en s’éloignant en titubant avec, à la main, une de ces milliers de petites bouteilles d’eau distribuées par les militaires aux abords de la zone.

Oussama (à gauche), 20 ans, survivant, volontaire et habitant de la zone détruite, à Derna (Libye), le 19 septembre 2023.

Plus haut, de jeunes volontaires se remettent en ordre de marche. Quatre d’entre eux, originaires de la ville – Oussama, Mahmoud, Islam et Odeil –, se sentent également parfois bien seuls. Ils s’activent pourtant depuis le premier jour. Avec pour mission de garder un minimum carrossable la mince bande de terre battue qui fait office de passage entre les deux rives du Wadi Derna. Nuit et jour.

« Nous tentons d’ouvrir des voies d’accès. La ville était isolée. Coupée en deux par l’inondation. Les secours ne pouvaient tout simplement pas circuler, explique Oussama, 20 ans, qui raconte la terreur des quarante-huit premières heures. La priorité était de secourir les gens. Alors même que des centaines de corps étaient dispersées le long du lit de l’oued. Il a même fallu utiliser la pelle du bulldozer pour les transporter… »

Eux sont des miraculés. Le soir de la catastrophe quand, après minuit, ils partent consolider digues et remblais alors que les eaux commencent à monter, ils pensent faire face à un événement équivalent à celui de 2011, quand la crue avait empli le lit de la rivière, mais sans déborder dans les rues et les ruelles des quartiers limitrophes. « Le barrage [le premier est à 1 km en amont de la ville] avait quand même retenu l’eau », se rappelle Oussama.

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