L’Ukraine poursuit son avancée sans précédent dans la région russe de Koursk ce lundi.
Face à cette percée, la Russie a d’abord évoqué une attaque terroriste, avant d’accuser l’Occident d’être à la manœuvre.
Récit d’une propagande d’État qui peine à s’accorder sur une version commune.
Suivez la couverture complète
Guerre en Ukraine : incursion en territoire russe
Visiblement, l’incursion ukrainienne, qui a débuté le 6 août dernier, a pris de court les principaux relais du narratif russe. Pour réagir aux percées observées à Koursk, en territoire russe, les habituelles figures de la propagande peinent à trouver un récit qui fasse consensus.
De la théorie de « l’État profond » à celle d’une défaite
Comme souvent, le premier réflexe de l’appareil d’État a été de minimiser l’action de l’Ukraine, décrivant tour à tour une « attaque d’un groupe de sabotage » ou de « provocations ». Quelques jours après l’arrivée des forces armées ukrainiennes en territoire russe, c’est le mot « terrorisme » qui domine finalement les débats des défenseurs de la Russie. Le 10 août, une « opération antiterroriste » fait ainsi l’ouverture des journaux télévisés. Expression que l’on retrouve dans toutes les agences de presses officielles russes. Parallèlement, le ministère de la Défense tente coûte que coûte de démontrer qu’il agit sur tous les fronts. Quitte à utiliser de vieilles images, comme nous vous l’expliquions ici. Chez les relais occidentaux, on va plus loin. Xavier Moreau, un porte-voix de la propagande russe en France, considère que les forces armées ukrainiennes cherchent à s’emparer de la centrale nucléaire de la région, décrivant cette opération comme du « terrorisme nucléaire ».
Mais face à une offensive qui dure, cette version est abandonnée. Le récit va évoluer, les versions se multiplier. Quitte à ce que certains envisagent même une défaite. Sur la chaine publique Rossiya 1, où les plus fervents nationalistes s’enchainent à longueur d’antenne, le réalisateur russe Karen Shakhnazarov ose décrire la « guerre » en cours le 15 août. Selon ce fervent défenseur de l’invasion de l’Ukraine, l’ampleur de l’avancée des forces armées de Kiev ne peut s’expliquer que par une raison : la présence d’un « État profond » au sein de la Russie. Dans ce passage, traduit par le collectif « Russian Media Monitor », il affirme que ces gouverneurs de l’ombre souhaiteraient voir la perte de la Russie « pour retrouver l’Occident, comme c’était le cas avant ». « L’État profond attend notre défaite avec plaisir et fait tout pour l’assurer », a-t-il lancé, appelant la population à « prendre conscience que nous risquons de perdre ».
Une prise de parole que rejette catégoriquement Dmitry Drobnitsky. Ce politologue russe, qui dispose de sa propre chronique dans RT, rejette l’image de quelques cerveaux russes « cigare à la bouche » qui comploteraient contre le pays. Lui soupçonne plutôt les Nations Unies d’avoir mis en scène cette incursion. « Il n’y a personne d’autre », assène-t-il depuis le 13 août, toujours d’après la traduction de « Russian Media Monitor ». Une version qui correspond à celle du chef du Kremlin. C’est Vladimir Poutine lui-même qui a, en premier, évoqué une opération sous influence occidentale. « L’adversaire, avec le soutien de ses chefs occidentaux, met ses directives à exécution », regrette-t-il le lundi 12 août au cours d’une réunion avec des responsables des forces de sécurité. « L’Occident utilise les Ukrainiens comme mandataires pour lutter contre nous » et souhaite reprendre des territoires afin d’améliorer « sa position de négociation à l’avenir », a-t-il dénoncé.
DÉCRYPTAGE – Qui sont ces « journalistes occidentaux », relais privilégiés du Kremlin ?Source : TF1 Info
Mais face aux grandes figures de la propagande, d’autres récits se font, eux aussi, entendre. Un journal local de Koursk s’est par exemple fait l’écho de voix très critiques à l’égard du pouvoir russe. Dans la presse, ces habitants évacués accusent Vladimir Poutine et l’ancien gouverneur de la région de les avoir abandonnés. Idem sur Telegram, où certains Russes commencent sérieusement à envisager la possibilité d’une défaite. Parmi eux, l’influenceur Roman Alekhin. Dans une publication vue plus de deux millions de fois depuis ce samedi 17 août, ce blogueur militaire a multiplié les accusations contre « les hauts gradés » de l’armée qui refusent de voir la réalité en face. Cet état-major au sein duquel « un messager porteur de mauvaises nouvelles est exécuté ». Vilipendant tour à tour les médias qui ont « écarté » les informations venues du front, les « oligarques », et les « généraux qui vivent comme avant », le blogueur plaide pour un sursaut. « Nous ferons face à des douches froides aussi souvent que nos fonctionnaires et nos généraux exigeront pour eux-mêmes des douches chaudes et confortables. »
Le « silence » comme dernière solution
Face à cet influenceur populaire qui accuse « les mensonges » et « le silence » d’être à l’origine des défaites russes, les porte-voix officiels ne semblent avoir qu’une réponse : le dénigrement. « Quel est l’intérêt ? Travaillez-vous pour la propagande [de l’Occident] ? Pourquoi le faites-vous ? », s’est interrogé Volodomir Soloviev ce dimanche 18 août, visant directement « les blogueurs militaires en proie à une hémorragie cérébrale ». « Tout le monde devrait se calmer un peu », a-t-il donc conseillé en ouverture de son émission. Avant d’estimer, quelques minutes plus tard, que Moscou devrait « supprimer toute sorte de ligne rouge et frapper les centres de décision » des Occidentaux. « Je ne parle pas seulement de Kiev », a ajouté celui qui a appelé par le passé à lancer des bombes nucléaires sur les capitales européennes.
Pour justifier l’incursion ukrainienne à Koursk, ce porte-parole du Kremlin a préféré citer tour à tour la taille de la frontière russe et le « matériel militaire fourni par tous les pays de pacotille » qui soutiennent Kiev. « En ce moment, le plus important, c’est que tout le monde se taise », a corroboré sur le plateau le député russe Andrey Gurulyov. S’il reconnait qu’il y a eu « des émotions » et que l’offensive ukrainienne est « un sujet désagréable », l’ancien général de l’armée russe a appelé ses compatriotes à « rester silencieux« . La seule façon de mettre tout le monde d’accord.