Au chapitre de la violence politique, l’agression qui s’est produite, lundi 15 mai, dans le centre-ville d’Amiens, peu après une interview d’Emmanuel Macron au journal de 20 heures de TF1, marque une escalade inquiétante. Dans le climat de tension suscité par la réforme des retraites, les élus ne sont plus les seuls à subir intimidations, menaces ou manifestations de haine. Cette fois, c’est le petit-neveu de la première dame, Brigitte Macron, qui a été pris pour cible. Agé de 30 ans, Jean-Baptiste Trogneux a été agressé alors qu’il regagnait son domicile, situé au-dessus de la chocolaterie dont il est propriétaire, à Amiens. Il a été pris à partie et molesté par plusieurs personnes en marge d’une casserolade. Huit ont été interpellées, trois placées en détention provisoire jusqu’à leur procès, renvoyé au 5 juin. Une adolescente sera présentée au juge des enfants, quatre autres personnes ont été libérées.
Dans le monde politique, la condamnation de cet acte inqualifiable a été unanime, des rangs de La France insoumise à ceux du Rassemblement national. Après avoir « protesté » contre cette agression, Jean-Luc Mélenchon a cru bon de demander à Emmanuel Macron et à « Madame d’en faire autant pour nos amis agressés ou menacés, sans réserver leur sollicitude au seul Zemmour quand il fut molesté ». Le leader des « insoumis » aurait gagné à ne pas finasser, comme l’ont d’ailleurs fait les autres élus de son mouvement. Quel que soit le profil des auteurs de l’agression – des jeunes marginaux qui n’en étaient pas à leur première agression, selon les premiers éléments de l’enquête –, leur comportement appelle une condamnation sans réserve.
Une négation du débat
Ce qui est en jeu ici dépasse en effet largement les positionnements politiciens. La violence est une négation du débat et de l’argumentation. La violence convoque les instincts les plus primitifs et annihile la raison. La violence menace les fondements du contrat social en poussant les uns à se lâcher sans retenue, les autres à réprimer sans compter, avec le risque que des débordements policiers contribuent à la montée des tensions. Chaque fois qu’une borne est franchie dans la violence, la démocratie en est la première victime.
L’événement d’Amiens intervient alors que le monde politique est encore sous le choc de la démission de Yannick Morez, maire (divers droite) de Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique), quelques semaines après l’incendie criminel qui a visé son domicile. Depuis des mois, l’édile subissait des menaces venues de l’extrême droite, liées à son soutien à un projet de déplacement et d’extension d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile. La réaction tardive du gouvernement, qui a annoncé, mercredi 17 mai, un durcissement des peines en cas d’attaques contre les élus, ne compense pas la très grande solitude dans lequel Yannick Morez s’est retrouvé.
Depuis le mouvement des « gilets jaunes », notre système politique connaît sa fragilité : un grand nombre de citoyens ont le sentiment d’être abandonnés, d’autres pensent que leur voix ne compte pas. Il est donc impératif de réfléchir à un meilleur fonctionnement des institutions et urgent de promouvoir une association plus étroite des citoyens à la chose publique. Mais il existe aussi une face noire du combat politique, qui se nourrit de discours complotistes et d’appels à la haine, notamment sur les réseaux sociaux, sur fond de contestation de la démocratie représentative. C’est contre ces dérives éminemment dangereuses qu’il faut aujourd’hui ériger un mur infranchissable. Le message doit être clair et net : le refus de la banalisation de la violence.