Même si la mobilisation n’a pas atteint le million de manifestants qu’ils espéraient, les syndicats ont réussi, lundi 1er mai, une treizième démonstration de force à l’occasion de la célébration de la Journée internationale des travailleurs, placée cette année sous le signe du refus de la retraite à 64 ans. Depuis le début du conflit, jeudi 19 janvier, ils sont parvenus à rester unis au sein d’une intersyndicale qui a su orchestrer la mobilisation en tenant compte du contexte ambiant, marqué par l’inflation qui rogne le pouvoir d’achat et limite les possibilités de grève. Ils ont aussi tout fait pour contenir les inévitables débordements de violence, réussissant ainsi à s’adjoindre, dans la durée, le soutien de l’opinion.
Leur incapacité à ce jour à faire plier le président de la République, qui a promulgué la loi sur les retraites, samedi 15 avril, n’en apparaît que plus injuste : une majorité de Français est derrière eux et pourtant ils apparaissent impuissants. Certes, ils s’accrochent encore à l’espoir que le Conseil constitutionnel valide, mercredi 3 mai, le référendum d’initiative partagée qu’a lancé la gauche dans l’espoir de faire annuler la réforme. Ils guettent aussi l’examen, jeudi 8 juin, de la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale par le groupe LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires), qui vise le même objectif.
Mais entretenir la mobilisation devient pour eux très difficile. Après la liesse du début, ils savent qu’ils sont entrés dans la période ingrate durant laquelle ils vont devoir rendre des comptes à leur base sans perdre la face. Dans le passé, cela s’est payé chèrement par des divisions, des rancœurs et des renvois de cartes par des adhérents en colère.
Cette fois, pourtant, la situation politique et sociale leur laisse l’espoir de peser réellement, même si c’est d’une autre façon. Apparemment vaincus, les syndicats sortent en réalité renforcés du conflit sur la réforme des retraites. D’abord, ils ont recruté des adhérents et élargi leur audience en rendant visible un monde du travail dont le gouvernement a sous-estimé la souffrance et les aspirations, au lendemain du confinement. Ensuite, ils ont tenu à distance Marine Le Pen, qui cherche à séduire dans leurs propres rangs.
Enfin, ils ont su promouvoir le jeu collectif et ont encouragé le renouvellement, comme le montre l’attitude des deux principaux syndicats. Surmontant ses divisions alors que le conflit risquait de les attiser, la CGT a porté à sa tête une femme, Sophie Binet, qui était pourtant éloignée des canons traditionnels du syndicat. Renonçant à l’hypermédiatisation dans laquelle l’a propulsé le conflit, Laurent Berger a, pour sa part, confirmé sa volonté de transmettre rapidement le flambeau ; fin juin, Marylise Léon deviendra la nouvelle secrétaire générale de la CFDT.
Ce printemps des syndicats tranche avec l’état crépusculaire dans lequel se trouve le gouvernement, qui continue de payer au prix fort l’usage du 49.3 pour faire adopter une réforme très impopulaire. C’est ce contraste qui ouvre réellement le jeu. Bloquée au Parlement par l’absence de majorité absolue, l’horizon contraint par les « cent jours » fixés par Emmanuel Macron, la première ministre, Elisabeth Borne, a impérativement besoin de s’appuyer sur les partenaires sociaux pour tenter de faire bouger le pays, répondre aux revendications sur le pouvoir d’achat et les conditions de travail et tenter ainsi de faire baisser le ressentiment social. S’ils continuent de jouer groupés et s’ils mettent la barre haut, les syndicats ont une réelle occasion de redorer le blason de la démocratie sociale.