En longeant le quai 23 de la Gare de Lyon, à Paris, on débouche sur un parking et un drôle d’entrepôt en forme de demi-cylindre, avec une vue imprenable sur les entrepôts de l’ancien tri postal, devenu Ground Control, un tiers lieu culturel et gastronomique. C’est là que chaque matin, à 11 heures, se réunit l’intersyndicale de Paris Sud Est, celle des cheminots qui, entre autres, conduisent les RER D et R. C’est là que, chaque jour, ils reconduisent la grève à main levée, et à l’unanimité.
Mardi 7 mars, impossible de passer à côté de la réunion : les syndicalistes SUD-Rail avaient d’abord allumé un feu de palettes pour symboliser le piquet de grève, puis ceux de la CGT avaient enflammé un tas de pneus, dégageant une lourde fumée noire, un panache menaçant… qui a très vite fait débouler les voisins et les pompiers. Médiatiquement, le coup était réussi : les images ont tourné en boucle sur différents médias. Et soulignaient la forte mobilisation dans l’entreprise : 39 % de grévistes à la SNCF.
Mercredi 8 mars, l’ambiance était un peu refroidie. Finis les grands feux, les militants s’étaient réfugiés à l’intérieur du hangar, au milieu des transpalettes. Quatre vingt quinze pourcents des conducteurs de train étaient toujours en grève sur les RER D et H. « C’est formidable ce qu’il s’est passé hier, rappelait à tous Fabien Villedieu, délégué syndical SUD-Rail. On a fait une démonstration de force. Une des plus grosses manifestations depuis qu’on compte : plus que 2019, 2010, 2003, 1995… Et le soir, qu’est-ce qu’on entend ? Que disent les commentateurs ? “Ça n’a pas si bien marché que cela, il y a moins de grévistes à la SNCF”. »
Cinquante-six jours et un traumatisme
Fâché, il interpelle les politiques et les experts : « Mais ouvrez les yeux, bordel ! Six manifestations en un moins d’un mois, dont quatre qui dépassent le million, c’est historique », crie-t-il. Prenant la suite au micro, Berenger Cernon, de la CGT, rappelle les deux prochains temps forts : la manifestation du samedi 11 et la journée du 15 mars. Entre les deux, il ne faut surtout pas arrêter, prévient-il : « C’est comme cela que s’est construit le mouvement en 1995. » Daniel Teirlynck, orateur de l’UNSA, abonde dans le même sens et insiste : « 39 %, on n’a pas connu de tels chiffres depuis longtemps. » Et 80 bras de se lever pour voter la grève.
Jeudi 9 mars, le groupe est un peu plus clairsemé. La veille, pourtant, Berenger Cernon a mis en garde les agents : « La grève, c’est dur, il ne faut pas rester seul. Même si le Covid a changé les habitudes, c’est plus facile si on est ensemble, si on se parle, si on vient aux AG, aux manifestations. » Mais le matin même, il a eu des appels de collègues. La crainte pour le pouvoir d’achat et l’inflation sont là. L’un reste à la maison pour économiser sur la garde d’enfants, l’autre sur l’essence.
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