Quels scénarios possibles pour la loi sur les retraites ? motion de censure, « scénario CPE », censure constitutionnelle, référendum…

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La première ministre, Elisabeth Borne, a engagé jeudi 16 mars la responsabilité de son gouvernement sur la réforme des retraites en ayant recours à l’article 49.3 de la Constitution. Dans les vingt-quatre heures qui suivent, les députés ont la possibilité de répliquer par une motion de censure contre le gouvernement. Deux textes ont effectivement été déposés vendredi : l’un par le groupe Rassemblement national, l’autre, présenté comme « transpartisan », par le groupe centriste Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (LIOT), soutenue notamment par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). Ils devraient être soumis au vote, lundi 20 mars, à l’Assemblée nationale. Quels sont ensuite les scénarios possibles ?

En cas d’adoption d’une motion de censure

  • La réforme des retraites est-elle définitivement enterrée ?

Si l’une des motions de censure est votée par la majorité des députés, la loi est rejetée et le gouvernement est renversé. L’adoption d’une motion de censure par une majorité de députés se traduirait par le rejet du texte élaboré par la Commission mixte paritaire (CMP) et, probablement, par l’abandon de ce projet de loi.

On peut cependant envisager, d’un point de vue strictement législatif, que le processus se poursuive par une nouvelle lecture, qui est la suite habituelle de la procédure législative en cas de rejet d’un texte proposé par la CMP ; le projet de loi serait alors réexaminé par l’Assemblée nationale et le Sénat. Si cette hypothèse est juridiquement fondée, elle paraît politiquement intenable. Difficile en effet d’imaginer qu’un futur gouvernement soit en mesure de reprendre cette réforme.

Lire aussi : Retraites : quels députés vont voter la motion de censure ? Combien de LR faut-il pour renverser le gouvernement ?
  • De nouvelles élections seront-elles organisées ?

Si une motion de censure constitue un revers politique majeur, elle n’oblige pas le chef de l’Etat à dissoudre l’Assemblée nationale. Ce dernier peut composer en nommant un nouveau gouvernement et négocier ou reporter certains projets de loi.

C’est toutefois envisageable pour résoudre une crise politique : en vertu de l’article 12, le président a la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale après consultation du premier ministre et des présidents des deux assemblées. De nouvelles élections sont alors organisées dans les vingt à quarante jours. Encore faut-il que la majorité issue de ces élections lui soit plus favorable, ce qui constitue un pari risqué.

En cas de rejet des motions de censure

L’échec des motions de censure reste le scénario le plus probable, étant donné la composition actuelle de l’Assemblée nationale, entraînant alors une adoption définitive du projet de loi. Il reste toutefois quelques possibles obstacles avant sa mise en œuvre effective.

  • Un retrait politique de la réforme est-il possible face à une très forte mobilisation sociale ?

L’exemple du contrat de première embauche (CPE) de 2006 est souvent cité. Cette loi, qui créait un CDI spécial jeunes avec une période d’essai de deux ans, a été adoptée elle aussi avec l’utilisation du 49.3 par le premier ministre Dominique de Villepin, puis promulguée. Mais elle a été suspendue immédiatement, et supprimée par un nouveau vote.

Cette réaction exceptionnelle de l’exécutif a été la réponse à une situation d’extrême tension sociale et de très forte contestation : des blocages d’universités puis de lycées, jusqu’à trois millions de manifestants dans la rue, événements émaillés de violents heurts entre participants et forces de l’ordre et une opinion publique favorable aux manifestants.

  • Le Conseil constitutionnel peut-il censurer le projet de loi ?

Dans les quinze jours qui suivent l’adoption définitive d’une loi, le Conseil constitutionnel peut être saisi par au moins 60 parlementaires. La cheffe des députés La France insoumise (LFI), Mathilde Panot, a déjà annoncé que la gauche lancerait cette procédure. La saisine, qui suspend le délai de promulgation de la loi, doit être examinée dans un délai d’un mois. L’article 61.3 de la Constitution permet au gouvernement de demander au Conseil constitutionnel d’examiner le texte en urgence, ce qui réduit le délai à huit jours.

Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel, soulignait, vendredi 17 mars, sur Franceinfo « les forts risques d’inconstitutionnalité de cette loi, non pas tellement sur le fond, mais sur la forme. (…) ll n’y a pas vraiment eu un débat clair et sincère ; or, c’est une exigence constitutionnelle. »

Le Monde

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Le Parlement a été extrêmement contraint par le gouvernement, qui a utilisé un très grand nombre d’instruments de procédure ; recours à l’article 47.1 de la Constitution pour réduire le temps des débats, refus de recevabilité d’amendements par l’article 44.2, article 38 du règlement du Sénat pour limiter les débats sur un amendement, vote bloqué par l’article 44.3 sur la fin du texte au Sénat, puis recours à l’article 49.3 sur l’ensemble du texte… Ces leviers sont conformes à la Constitution pris indépendamment, mais leur accumulation peut aboutir à la remise en cause de « la clarté et de la sincérité du débat parlementaire » qui est une exigence constitutionnelle.

Interrogé par Le Monde, Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l’université de Lille, ajoute une autre faiblesse du texte :

« Sur le plan du contenu, il faut que le PLFSS [projet de loi de financement de la Sécurité sociale, qui englobe cette réforme] contienne les matières ouvertes à PLFSS, avec toute la question des cavaliers sociaux. C’est précisément pourquoi il y a une interrogation sur la constitutionnalité d’emprunter ce véhicule pour faire la réforme des retraites. »

  • L’organisation d’un référendum d’initiative partagée (RIP) est-elle envisageable ?

L’organisation d’un référendum d’initiative partagée proposant l’abandon de la réforme est théoriquement possible, mais contrainte dans le temps.

Le RIP est une proposition de loi qui permet d’organiser une consultation populaire. Elle doit être cosignée par au moins un cinquième des membres du Parlement, soit 185 députés et sénateurs – 252 parlementaires, députés de la Nupes et sénateurs des différents groupes de gauche ont déposé vendredi une demande de RIP pour que l’âge légal de départ à la retraite ne puisse pas être porté au-delà de 62 ans.

Mais, là où le processus se complique, c’est que le RIP ne peut pas porter sur l’abrogation d’une disposition législative en vigueur depuis moins d’un an.

Si la réforme des retraites est adoptée (en cas de rejet de la motion de censure), le Conseil constitutionnel peut être saisi par les parlementaires, disposant de trente jours (ou huit jours si le gouvernement invoque l’urgence) pour examiner le texte. Or, ce même Conseil constitutionnel dispose du même délai pour valider la proposition de RIP, après vérification du nombre de déposants et de l’objet de la proposition de loi.

Si le Conseil constitutionnel valide le texte du RIP avant que la loi sur la réforme des retraites soit promulguée, il confie ensuite l’organisation du recueil des soutiens au ministère de l’intérieur dans un délai de neuf mois. Si au moins 10 % des électeurs soutiennent cette proposition, cette dernière doit être examinée à l’Assemblée nationale et au Sénat, et sinon soumise à référendum par le président de la République.

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