Manifester, un droit à protéger, pas à manipuler

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Gérald Darmanin se pose en serviteur loyal d’Emmanuel Macron tout en peaufinant sa figure de gardien de l’ordre, apte à nourrir ses propres ambitions politiques. Ce double positionnement l’a conduit à déployer toute son énergie et ses ressources de ministre de l’intérieur pour protéger le chef de l’Etat face aux manifestants qui contestent la réforme des retraites et, depuis son adoption, cherchent à perturber le moindre déplacement du président de la République. Mais, dans son zèle, le locataire de la place Beauvau, relayé par le réseau des préfets, a fait montre d’une inquiétante conception d’une des libertés publiques, celle de manifester.

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Aux interpellations destinées à intimider les manifestants et à les empêcher de défiler, aux arrêtés d’interdiction pris à la dernière minute pour rendre vains les recours, aux interdictions quotidiennes des manifestations spontanées a succédé, depuis l’adoption de la réforme, le déploiement d’un nouvel arsenal juridique pour empêcher les protestataires d’approcher le président pendant ses apparitions publiques. La loi antiterroriste de 2017 a été utilisée pour justifier la délimitation de « périmètres de protection » et l’interdiction des « dispositifs sonores portatifs », sémantique orwellienne pour désigner les casseroles. Face aux accusations de « deux poids deux mesures » de la gauche lui reprochant d’avoir autorisé un défilé néofasciste à Paris le 6 mai, le ministre de l’intérieur a annoncé qu’il interdirait systématiquement les défilés « d’ultradroite ou d’extrême droite ».

Populisme judiciaire

En réalité, au ministère de l’intérieur, on sait pertinemment que certaines des interdictions édictées par les préfets ne sont pas fondées en droit, comme le confirme une note de sa direction juridique qualifiant l’usage de la loi de 2017 de « détournement de procédure ». De fait, les tribunaux administratifs en ont annulé la plupart, y compris, cadeau à l’extrême droite, celles visant des royalistes. Tout s’est passé comme si, pour « couvrir » l’interdiction des casserolades, le ministre de l’intérieur avait menacé l’extrême droite de sanctions vaines. Comme si, de son côté, une partie de la gauche était tombée dans le piège en réclamant des interdictions a priori visant des manifestations d’extrême droite, transformant des défilés confidentiels en événements.

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En faisant mine d’ignorer qu’en matière de manifestation, le principe est la liberté et que seul un risque caractérisé de trouble à l’ordre public peut justifier l’interdiction, en renvoyant sur les juges la responsabilité des décisions forcément controversées, le ministre de l’intérieur donne des arguments aux ennemis de la démocratie. Il alimente le vent mauvais du populisme judiciaire et de l’illibéralisme qui oppose les juges au peuple, accusant les premiers de se substituer au second et menaçant l’Etat de droit, fondé notamment sur le contrôle de l’exécutif par des juges indépendants. Il justifie les entraves au droit de manifester au lieu de le garantir. Quant au Rassemblement national, fait-il partie des organisations d’ultradroite et d’extrême droite dont le ministre souhaite désormais l’interdiction des manifestations ?

L’attitude de M. Darmanin ressemble à une manipulation cynique du droit. La réalité, amplement illustrée dans bien des pays du monde – des Etats-Unis à la Hongrie et d’Israël au Brésil –, est qu’on ne doit pas jouer avec les libertés publiques. Ni avec les institutions chargées en dernier recours de les protéger.

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Le Monde

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