Sont-ils devenus sourds et aveugles ? La façon qu’ont les partis dits de l’« arc républicain » d’agir comme si Marine Le Pen n’existait pas, que son parti ne se banalisait pas, que les intentions de vote en sa faveur ne progressaient pas est confondante. Tout occupés à se livrer entre eux une guerre sans merci, ils semblent oublier que la fille de Jean-Marie Le Pen est en train de se nourrir des effets du climat délétère dans lequel évolue le pays depuis un an. Puisque personne ne vient la chercher, c’est elle qui engrange sans avoir besoin de beaucoup en faire. Il lui suffit, à épisodes réguliers, de pointer le désordre ambiant et se faire le chantre de « la paix sociale » comme elle l’a encore fait lundi 1er mai en participant au Havre à une fête de la nation, tandis que les syndicats réussissaient une nouvelle démonstration de force en la tenant soigneusement à l’écart.
Une récente étude menée par le think tank Terra Nova – « Le RN à l’Assemblée nationale : une mue en trompe-l’œil » – est de nature à rassurer les plus inquiets. En dépit des efforts déployés depuis un an par Marine Le Pen pour notabiliser les 88 députés de son groupe, se couler dans le moule des institutions et tenter de faire reconnaître le Rassemblement national comme un parti normal, c’est-à-dire débarrassé de « ses héritages réactionnaires, maurrassiens, vichystes et colonialistes », le cordon sanitaire fonctionne toujours. De nombreuses manœuvres d’approche ont été tentées par le groupe, consistant par exemple à reprendre à son compte des propositions de loi issues d’autres sensibilités politiques, à voter des amendements de la droite voire à soutenir des motions de censure déposées par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes). En vain, la vigilance républicaine demeure et personne n’a été pris en flagrant délit de pactiser avec Marine Le Pen.
Des dehors aseptisés
Il n’en demeure pas moins que le climat général la sert sans que personne ne veuille admettre une once de responsabilité dans cet état de fait, préférant renvoyer la faute sur l’autre. La gauche, comme les syndicats, accuse Emmanuel Macron et le gouvernement de la faire monter en faisant voter au forceps une réforme des retraites qui impacte fortement le bas des classes moyennes ; le gouvernement rétorque en pointant le jeu « dangereux » de la France insoumise lancée dans un dynamitage systématique des institutions de la Ve République. La vérité est que Marine Le Pen s’alimente aux deux sources : d’un côté, elle pointe « la brutalité » sociale du gouvernement ; de l’autre elle s’insurge contre les risques de chaos dans une tentative d’incarner le parti de l’ordre, elle qui pourtant promet en cas d’élection un bras de fer avec le Conseil constitutionnel pour tenter d’imposer, par référendum, la préférence nationale qui tient d’armature à son projet.
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