A observer depuis le Royaume-Uni, les manifestations massives contre la réforme des retraites en France, on se dit que la distance entre les deux pays n’a jamais été aussi grande. L’âge de départ à la retraite pour les Britanniques (où il n’y a plus d’âge obligatoire pour la prendre) a progressivement dépassé 65 ans depuis 2018. Il devrait atteindre 67 ans en 2028, et on parle d’ores et déjà d’un report supplémentaire à 68 ans pour préserver les finances publiques. Si les rumeurs de nouveaux reports suscitent la crainte de manifestations semblables à celles qui se déroulent en France, le sentiment général est qu’une main-d’œuvre qui vit plus longtemps ne devrait pas prématurément ni trop longtemps « faire peser un fardeau sur l’Etat ».
Pourtant, au Royaume-Uni, qui connaît des inégalités socio-politiques extrêmes, l’espérance de vie dans les zones les plus déshéritées est jusqu’à vingt ans inférieure à ce qu’elle est dans les quartiers les plus huppés (« Health state life expectancies by national deprivation deciles, England : 2018 to 2020 », Office for National Statistics, 25 avril 2022). Tout se passe comme si les Britanniques avaient oublié que la retraite n’est pas mesurée selon les capacités d’un individu à continuer à travailler, mais qu’elle est conçue pour récolter les fruits d’une assurance sociale et de salaires différés au fil d’une période de loisir exempte de contraintes.
Cela signifie-t-il qu’il existe ici un soutien tacite des Britanniques aux réformes de Macron, face au comportement d’une classe ouvrière française surprotégée, incapable de survivre dans le dur environnement capitaliste qu’affrontent ses homologues britannique et américaine ? Oui et non.
Peu de protestations
Les coupes dans les dépenses publiques se font aujourd’hui durement sentir au Royaume-Uni, d’autant que la population subit actuellement une dégradation significative de son niveau de vie du fait que s’y ajoutent l’inflation élevée, les factures d’énergie exorbitantes, le Brexit et la baisse des salaires réels. Le contrat générationnel en vertu duquel la qualité de vie devrait constamment s’améliorer d’une génération à la suivante a volé en éclats. Il est clair que ce fait, auquel s’ajoute une certaine fatigue post-pandémie, a alimenté le vaste mouvement de protestation dans le secteur public (employés des transports, infirmiers, ambulanciers, fonctionnaires, enseignants, postiers, personnel universitaire), mouvement qui a bénéficié d’un soutien continu de l’opinion publique en dépit des efforts déployés par le gouvernement et par ses partisans dans la presse de droite.
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