La cravate à l’Assemblée nationale, histoire d’une controverse

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Dans son en-tête, le courrier affiche solennellement le logo tricolore de l’Assemblée nationale et la devise de la République française. L’affaire est grave : en ce 21 juillet 2022, le député Les Républicains (LR) Eric Ciotti souhaite attirer l’attention de la présidente du Palais-Bourbon sur un « sujet d’importance ». Depuis le début de la législature, s’indigne-t-il, le « relâchement vestimentaire » de certains députés s’est « grandement amplifié ». Nul ne peut, selon lui, se réjouir de ce désolant laisser-aller : en boudant la cravate et le costume, les députés de La France insoumise (LFI) portent gravement atteinte à l’institution.

A peine lancée, la croisade politico-vestimentaire d’Eric Ciotti inspire aux élus « insoumis » nombre de facéties. Au nom du « respect du peuple », le député LFI Louis Boyard demande l’interdiction des tenues « onéreuses » et « arrogantes » de ses adversaires, tandis que ses collègues femmes, en guise de pied de nez, débarquent, le 26 juillet, au Palais-Bourbon avec des cravates bariolées. Pour mettre un terme à la querelle, l’Assemblée décide, le 9 novembre 2022, d’imposer une tenue « neutre, convenable, non détendue ni, a fortiori, négligée » : le port de la veste est désormais obligatoire, celui de la cravate recommandé.

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Une misérable affaire de chiffons ? Un feuilleton ridicule qui évoque les manières de cour de la France de Louis XIV ? Peut-être pas – ou pas seulement : dès les Etats généraux, la controverse se déploie dans un imaginaire républicain peuplé de grands principes et de symboles révolutionnaires – comme si quelque chose de profondément politique s’y jouait. Le port du costume est une « marque de respect » envers les institutions, affirme Eric Ciotti. Les députés doivent ressembler au « peuple », lui rétorquent les députés LFI. Les « sans-cravates » sont les héritiers des « sans-culottes », proclame Jean-Luc Mélenchon.

Diversité du monde social

Au Parlement comme dans toutes les sphères de la vie sociale, la tenue, il est vrai, n’est jamais neutre. « Il suffit de lire Roland Barthes pour savoir que le vêtement est un signe, souligne Etienne Ollion, professeur de sociologie à l’Ecole polytechnique. S’habiller mieux, s’habiller moins, s’habiller autrement, c’est jouer avec les symboles – surtout dans un lieu comme l’Assemblée nationale. » La vie politique, notamment dans le « saint des saints » qu’est l’hémicycle du Palais-Bourbon, se trouve marquée par une « intense politisation des apparences », résume en 2021 l’historienne Catherine Lanoë dans la revue Parlements.

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