Bamako, Ouagadougou, Conakry, Niamey, Libreville… Si chacun des dominos qui tombent en Afrique francophone s’inscrit dans un contexte local, le dénominateur commun à cette série de putschs militaires est clair : une crise des régimes mis en place par la France au moment des indépendances. Cet éboulement sans doute non terminé – on pense au Cameroun, au Congo-Brazzaville et au Togo – traduit une nouvelle phase du long processus de décolonisation amorcé autour de 1960. Le moment-clé actuel impose l’invention d’une nouvelle vision française des pays africains – davantage que de « l’Afrique », concept globalisant et réducteur hérité de la colonisation. Mais il exige aussi, en parallèle, de battre en brèche une autre simplification stérilisante, celle qui impute systématiquement au fait colonial tous les malheurs du continent et tend à exonérer ses dirigeants actuels.
Pendant trois décennies, dans le sillage de De Gaulle et de son homme de main en Afrique, Jacques Foccart, Paris a fait mine de partir, pour mieux rester en installant ses obligés au pouvoir dans chacune de ses ex-colonies. En 1990, la fin de la guerre froide a permis l’instauration du multipartisme, mais n’a conduit qu’au maquillage en démocraties électives des mêmes régimes.
Au même moment, les terribles potions budgétaires administrées au continent par les institutions financières internationales ont affaibli les Etats – dont les prérogatives ont été largement sous-traitées à des ONG étrangères et à des agences de l’ONU –, appauvri les populations et accru des inégalités déjà abyssales. Cette époque de faux-semblant démocratique semble s’achever aujourd’hui, pour le meilleur ou plus probablement pour le pire, alors que, dans plusieurs pays du Sahel, les jeunes, privés massivement d’avenir, préfèrent des militaires putschistes à des présidents élus et voient dans le coup d’Etat le seul moyen de se débarrasser d’un régime honni assimilé à la France.
Désillusions
De cette « défaite morale et intellectuelle » infligée à la France, selon l’expression de l’historien Achille Mbembe dans une tribune au Monde du 4 août, les responsables politiques hexagonaux sont largement responsables : tous se sont posés en gardiens de la démocratie en applaudissant dans le même temps des élections truquées, tous ont continué de poser la France en pourvoyeuse de « solutions pour l’Afrique » alimentant les désillusions, tous ont préféré écouter les militaires, dont le continent est, depuis la colonisation, le terrain d’entraînement préféré, plutôt que les sociologues, anthropologues et autres connaisseurs du terrain. La désastreuse décision de Nicolas Sarkozy de participer, en 2011, à une intervention militaire en Libye a conduit à une distribution massive d’armes aux djihadistes dans le Sahel, déclenchant un tourbillon de violence dont personne ne voit la fin.
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