« Ce livre fait de la variable territoriale une des matrices des comportements politiques »

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Etrange pays que cette France politique dont les économistes Julia Cagé et Thomas Piketty se sont emparés au terme d’une analyse qui court de la Révolution française à nos jours et embrasse des centaines de scrutins, avec une prédilection avouée pour les élections législatives, présidentielles et les référendums. Si un « grand livre » se juge à l’aune de sa capacité à déchiffrer des processus qui nous échappent et/ou sont des routines (le vote en est une), alors Une histoire du conflit politique [Seuil, 27 euros, à paraître le 8 septembre] a tout pour l’être. En 864 pages au cours desquelles s’égrènent statistiques, graphiques et cartes à l’appui d’une démonstration scientifique, les auteurs embarquent le lecteur dans une histoire qui brasse large : mobilisations électorales, offres partisanes et entreprises politiques sont passées au crible d’une réflexion qui affirme combien, par-delà l’écume des jours, les structures socio-économiques, et les classes sociales en premier lieu, ont la vie dure – une « orchestration sans chef d’orchestre » pour paraphraser Bourdieu (Le Sens pratique, Minuit, 1980).

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Dire que le livre est ambitieux est un euphémisme. Il vise à réinterpréter plus de deux siècles d’une conflictualité politique à travers le conflit électoral. Mobilisant des indicateurs classiques (revenus, patrimoine, niveau d’éducation…) tout en recourant à une typologie quadripartite inédite (villages, bourgs, banlieues, métropoles) dont les croisements virtuoses offrent d’objectiver des classes « géosociales », Julia Cagé et Thomas Piketty livrent une autre histoire de la démocratie où les crises attestent le poids des sédimentations sociales. L’ouvrage bouscule des certitudes. A rebours du diagnostic sur « l’archipélisation » de la société française qui prend l’espace comme une donnée en soi, il fait de la variable territoriale une des matrices des comportements politiques.

En complément de la lecture habituelle qui indexe la construction de l’ordre démocratique sur l’affrontement de deux puis de trois « régimes de vérité » (la République, l’Eglise, la Révolution – dans son acception communiste), il entreprend une nouvelle chronologie fondée sur des configurations dominées par des antagonismes politiques mus par des intérêts de classe et les capacités partisanes de les traduire : la bipartition (gauche-droite) des années 1910-1992, la tripartition (gauche-centre-droite) des années 1848-1910 et sa résurgence depuis les années 1990 invitent ainsi à repenser le tempo de la modernité.

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